Burkina: la détresse des producteurs de tomates de Bagré

Burkina: la détresse des producteurs de tomates de Bagré

A Bagré, les tomates pourrissent dans les champs. Cette année, les producteurs n’ont pratiquement rien récolté. Des millions investis pour tout perdre en quelques semaines. La raison : des attaques parasitaires et surtout les gros acheteurs ghanéens qui ne sont pas venus. Les acteurs placent leurs espoirs dans l’annonce de la construction d’une usine nationale de transformation de la tomate.

Son visage grave, témoigne d’une profonde triste. Le regard panoramique sur son hectare de tomates pour constater la triste scène. Des milliers de plants de tomates qui portent chacun, des fruits asséchés par le soleil. Des tomates fanées par la canicule, ou simplement pourries s’accrochent à des tiges qui n’ont pas bonne mine. Idrissa Bougma accuse le coup. « Triste de voir mon champ dans cet état. On avait investi dans l’espoir d’avoir quelque chose. Mais sincèrement ce fut une grande perte pour nous. On remet tout dans les mains de Dieu », se contente le producteur.

Idrissa Bougma constate les dégâts dans son champ, Bagré le 2 avril 2024 ©Studio Yafa

Instituteur à Bôcla dans la commune de Bagré, il avait pris un risque il y a quelques mois en contractant un prêt pour investir dans cette culture de rente. A l’arrivée, le constat est bien amer : «Je me suis beaucoup donné. J’ai investi environ 2 millions et je m’attendais à avoir environ 5 millions. Ce que j’ai vendu, c’est autour de 100 000 F CFA », poursuit-il, d’une petite voix.

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Dans cette maigre moisson, le jeune enseignant et agro businessman n’est pas seul. A côté de son périmètre, un autre plus grand. Il est de Joseph Ouédraogo, originaire de Kaya dans la région du Centre-Nord. Sa première expérience à Bagré en tant que producteur de tomates s’est révélée catastrophique sur ses 4 hectares.

Ce matin-là, le visage déconfit, il supervise la récolte de ce qui peut encore l’être pour avoir de quoi payer le transport retour de ses employés. « Ça n’encourage plus à rester. Nous sommes sur le départ », lance avec le dépit le producteur.

Plusieurs champs de tomates sont dans cet état, Bagré le 2 avril 2024 ©Studio Yafa

La caisse de tomate pendant les années d’embellies qui se négociaient entre 127 000 F CFA et 140 000 F CFA a chuté à 30 000, voire moins cette année.

Soumis aux aléas d’un marché étranger

Idrissa Bougma et ses camarades avaient les yeux tournés vers les acheteurs ghanéens. Ce sont eux qui à chaque campagne, affluent avec des camions pour acheter la tomate. Mais cette année, ils ne sont pas venus pour des raisons que les producteurs ne maîtrisent pas. Pendant que certains évoquent des problèmes avec certains fils de la localité sur la fixation des prix, d’autres campent sur les attaques parasitaires qui auraient découragé les acheteurs sur la qualité de la marchandise.

Tasséré Ouédraogo rappelle que la tomate est une culture à risque, Bagré le 3 avril 2024 ©Studio Yafa

Dans tous les cas, Tasséré Ouédraogo, conseiller agricole au pôle de croissance de Bagré et point focal pour la tomate, regrette cette totale dépendance vis-à-vis du marché étranger. « On compte beaucoup sur le marché extérieur, ce qui est à la défaveur des producteurs. Quand on compte totalement sur l’extérieur, souvent c’est bon, souvent pas. Pendant deux ou trois semaines, les véhicules ghanéens ne venaient pas », explique le technicien qui ajoute que « la tomate est très rentable, mais sa culture est à haut risque parce qu’elle mûrit avec son prix. Lui également se dit déçu, au même titre que les producteurs : « On est découragés. Ils ont vraiment beaucoup perdu cette année ».

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Les acheteurs de tomates venaient essentiellement du Ghana, mais aussi du Togo et du Bénin. Selon Joseph Ouédraogo, ce sont eux qui fixaient les prix d’achat. « Les autres pays qui viennent ici nous imposent leur prix. Aujourd’hui ils achètent à 25 000, le lendemain ils achètent à 5 000 CFA. On ne peut pas refuser aussi », regrette-t-il. Amer, il fustige le manque de compétitivité du marché local qui n’offre pas d’autres choix aux producteurs. . « Ce qui me fait mal, si d’autres pays ne peuvent pas venir acheter, au moins que le marché local soit assez dynamique. Mais on se rend compte que les gens d’ici sont pires que les étrangers. Comment on peut vendre une caisse à 2500 », fulmine le producteur sur le départ.

Des espoirs convergents

Le 23 septembre 2023, Le Président de la transition, le Capitaine Ibrahim Traoré a procédé la pose de la première pierre d’une usine de transformation de la tomate à Bobo Dioulasso, deuxième ville du pays. A Bagré, c’est un espoir pour les acteurs du domaine. « On a appris que l’Etat veut ouvrir une usine de tomate. S’il plaît à Dieu, nos tomates ne vont plus pourrir. On aura des acheteurs. A part cela, je ne vois d’autres solutions », espère Idrissa, l’instituteur producteur.

Même ton pour Tasséré Ouédraogo qui pense que l’usine de Bobo sera un ouf de soulagement pour les producteurs de tomates. « Ça va beaucoup nous soulager. C’est ce qui nous manque. Après tant d’investissement, s’il faut attendre le Ghana, le Bénin, le Togo, on ne peut rien maîtriser », rappelle-t-il.

Salam Sawadogo espère que son champ connaîtra un meilleur sort, Bagré le 2 avril 2024 ©Studio Yafa

Sur un terrain bien arrosé, Salam Sawadogo laboure à la houe. Autour de lui, des plants de tomates tout verts. Celui qui se réclame spécialiste de la tomate ne semble pas découragé par la perte subie par ses voisins. Pour lui, ce sont les risques du métier. En une campagne, on peut avoir des millions, comme on peut tout perdre. Il espère que dans quelques mois, quand ses tomates arriveront à maturité, le marché sera à son avantage.

Tiga Cheick Sawadogo