Retrait de Barkhane du Mali : « Le Burkina est en position de force pour négocier »  (1/2)
Mahamadou Savadogo dans son bureau à Ouagadougou, le 17 février 2022

Retrait de Barkhane du Mali : « Le Burkina est en position de force pour négocier » (1/2)

C’est acté. Barkhane quitte le Mali après y avoir passé une dizaine d’années. Voisin du Mali, quelles pourraient être les répercussions de cet désengagement de la France au Burkina ? C’est entre autres les questions que nous avons posées à Mahamadou Savadogo, expert en sécurité, chercheur sur les questions d’extrémisme violent et de radicalisation. Dans cet entretien, il analyse également le possible positionnement des nouvelles autorités burkinabè, pour tirer une meilleure partie de cette situation de redistribution dans le choix des partenaires.

A quoi doit-on s’attendre maintenant que Barkhane au Mali ?

La situation risque de se dégrader davantage. C’est Barkhane qui était l’appui logistique de toutes les forces européennes au Sahel. On aura un vrai manque à gagner. Même si la MINUSMA reste, elle était sous perfusion de Barkhane en termes de moyens aériens. Si vous lisez l’actualité, on dit que la MINUSMA a une obligation d’acheter rapidement 6 avons, sinon elle ne sera plus efficace.

Sur le plan stratégique, le Centre du Mali est la partie où se concentraient l’essentiel des attaques terroristes. Libérer ce centre, pour moi c’est une victoire des groupes armés terroristes parce que c’était l’une de leur revendication. Après 10 années pour aboutir à cela, pour moi, c’est un échec de toute la communauté internationale et une victoire des groupes armés qui sont de plus en plus convaincus qu’avec le temps, ils y parviendront.

Leur stratégie est simple, déstabiliser politiquement le mali, augmenter les clivages sociaux, ce qui leur fait de l’espace. C’est ce qui est arrivé au Mali et le Burkina est dans cette lancée avec l’instabilité politique.

Les autorités maliennes n’ont-elles pas anticipé en comblant le vide avec d’autres partenaires ?

On se dit qu’ils ont forcément d’autres stratégies de réserve et nous l’avons vu venir. C’est dans un premier temps, nouer des liens avec d’autres partenaires et puissances que sont la Russie avec Wagner, sans oublier qu’ils étaient dans une démarche de négociation avec les groupes armés terroristes.

Quelles conséquences du désengagement de Barkhane au Mali sur le Burkina ?

Il y aura des répercussions. Même si nous accueillons Barkhane, l’espace qu’il libère ne pourra pas être comblé, ça veut dire que les groupes armés vont toujours se servir du Mali comme base arrière pour attaquer le Burkina. Le niveau de violence risque d’augmenter encore les jours et mois à venir parce que les groupes armés terroristes occupent toute la bande frontalière entre le Burkina et le Mali c’est-à-dire les régions du Nord, de la Boucle du Mouhoun, des Cascades.

Même si nous avons un appui aérien de Barkhane, nous ne pourrons pas traverser les frontières maliennes. Il suffit que ces groupes se retrouvent de l’autre côté pour être en lieu sûr, se réorganiser pour revenir attaquer le Burkina.

Sur le plan diplomatique, il va y avoir une dégradation des relations avec le Mali, parce que l’ennemi de mon ami, forcément devient mon ami. C’est pour dire que ce n’est pas évident que nos accords avec le Mali tiennent toujours, parce que les maliens ne vont pas accepter que Barkhane traverse leur territoire avec leurs avions pour intervenir au Burkina.

Le Mali a un avantage par rapport à nous. Les groupes internationaux qui attaquent le Burkina ont leurs bases au Mali et ce sont des maliens. Et le Mali a dit à plusieurs reprises qu’il est prêt à négocier. En plus, l’une des conditions des groupes terroristes était le départ des forces étrangères.

Il y a donc des fortes chances que les négociations aboutissent parce que le gouvernement peut dire qu’il a fait un grand compromis et aux groupes terroristes aussi d’en faire autant en arrêtant les combats. Il faut craindre que la menace ne descende vers les pays côtiers.

Si Barkhane s’intéresse aux pays comme le Burkina, la Côte d’ivoire, le Niger et d’autres pays côtiers, ce n’est pas dépourvu d’intérêt. Il y a une lourde logistique que Barkhane ne peut redéployer immédiatement. Il lui faut au moins une année de balaie logistique pour enlever tout le matériel qu’il a mis 10 ans à installer, cela va lui coûter cher et c’est presqu’impossible.

La seule manière, c’est de revenir par la route vers les pays côtiers pour prendre le bateau. Puisqu’il ne peut pas passer par la zone des trois frontières, il faut redescendre vers Sikasso, la Côte d’ivoire, le Burkina pour remonter. Il y a aussi ce défi qui fait qu’il est obligé de collaborer avec les pays.

Comment selon vous, le Burkina devrait-il se positionner dans cette redistribution des cartes ?

Le Burkina devrait pouvoir bénéficier de cette situation s’il n’est pas passif. Aujourd’hui on peut dire que Barkhane est aux abois. Quand vous avez un partenaire qui n’est pas en position de force, vous devez tirer la meilleure partie en lui imposant votre stratégie si vous en avez. Malheureusement si vous n’en avez pas, ça va être dommage.

Si on laisse passer le temps, ce sont eux qui vont prendre le dessus et nous imposer des choses, alors que présentement on peut leur imposer ce que nous voulons. Pour moi, c’est une occasion que nous devons saisir en posant les conditions qui nous arrangent.
Voilà pourquoi il nous faut des patriotes qui vont faire prévaloir l’intérêt supérieur de la nation en rejetant ce qui ne nous nous arrange pas. C’est l’avantage que nous pouvons tirer de cette situation.

En plus de cela, nous savons que pour Barkhane, le Burkina a une position stratégique après le Mali. Vraiment nous avons les cartes en main présentement et si dans les jours et mois à venir nous n’arrivons pas à utiliser ces jokers là, ça va être comme le Mali. On va s’enliser, ils vont abuser de nous.

Avec nos partenaires, il faut rebâcler les cartes. Il faut rassurer les voisins et faire en sorte qu’il y ait toujours une coopération militaire avec le Mali. On ne peut pas occulter le mali dans cette guerre. Le Burkina ne pourra gagner cette guerre qu’en travaillant avec le Mali, donc les deux pays sont liés jusqu’à ce que nous ayons une victoire complète sur les groupes armés terroristes.

A suivre
Interview réalisée par Tiga Cheick Sawadogo