Ouagadougou : Un «hôtel à la belle étoile» pour femmes SDF
Rakieta et ses camarades devisent après une journée difficile

Ouagadougou : Un «hôtel à la belle étoile» pour femmes SDF

Dans un coin de l’avenue Monseigneur Thevenoud, non loin de la cathédrale de Ouagadougou, une douzaine de femmes vivant dans la rue, ont aménagé un gîte de fortune pour y passer leur nuit. Tranches de vie dans cet «hôtel à la belle étoile».

Ambiance vespérale en ce weekend pascal sur l’Avenue Monseigneur Thevenoud. L’artère en plein cœur de la capitale qui, va de la mairie centrale à la cathédrale, est illuminée de mille feux. Les passants brillants également de leurs plus beaux atours rappellent la fête de Pâques qui tire vers sa fin.

Soudain, autour de 20h moins le quart, un vieux tricycle peinant à rouler casse un peu l’ambiance festive en se garant sur le bas-côté de la voie à une cinquantaine de mètres de la Cathédrale. Le bruit de son moteur épuisé et l’épaisse fumée que dégage l’engin attire l’attention sur ses passagers : 07 femmes accompagnées de 02 enfants. Tous recouverts de poussière.

Elles semblent être arrivées à destination au milieu de cet espace vide. Les passagères se cotisent pour payer la course mais le conducteur du tricycle fait preuve de clémence. « Mes chères mamans, c’est gratuit le transport » refuse-t-il en langue nationale mooré avant de démarrer à la reconquête d’autres clients. Sous les bénédictions de ses anciennes passagères.

15 minutes plus tard, un autre groupe de femmes rejoint les rangs de la troupe à pied au même endroit. C’est vraisemblablement l’heure du rassemblement. Ce coin de l’avenue en plein air sert en fait d’hôtel de fortune à la douzaine de femmes. Sur le sable et gravier stockés là, elles étalent leur pagne et autre vêtement pour dormir. A la belle étoile. A côté des couchettes, des sacs contenant des bidons vides en plastique, la source de revenus de certaines pensionnaires de ce gîte en plein air qu’on pourrait qualifier d’«hôtel à la belle étoile». La vie dans la rue n’est pas un choix pour ces femmes SDF (sans domicile fixe).

Une tragédie dans une tragédie

La vie n’a pas fait de cadeau à Rakieta Derra. Teint clair, vêtue d’un haut rouge avec un pagne, cette dame de 37 ans est mère de cinq (05) enfants. Elle tient dans sa main son dernier de 03 ans qu’elle tente de couvrir avec son pagne contre le froid. Son histoire avec la rue débute il y a exactement 04 ans alors qu’elle portait un enfant de trois mois dans le ventre dit-elle en lui donnant le reste de la nourriture qu’elle a ramené d’une mosquée après la rupture du jeûne.

Après le décès de son mari au Ghana, elle décide de rentrer au pays car, confie-t-elle, « avec les enfants, on peinait à manger. On ne connait personne au Ghana et on était laissé à nous-mêmes. Donc j’ai décidé de regagner le Burkina Faso ». Dans sa tragédie, Rakieta se retrouve dans une situation encore plus difficile qui la conduit dans la rue : « Mon dernier fils est malade et il n’y a personne pour le soigner donc j’ai laissé les quatre autres avec ma mère et je me promène dans la rue pour quémander afin de le soigner et venir m’occuper des autres » dit-elle.

Lire aussi: Kaya, l’intégration, l’autre défi des femmes déplacées internes …

En plus de la mendicité, elle achète des bidons à 25 F qu’elle revend à 50 F CFA pour se faire du bénéfice. Rakieta n’est pas la seule contrainte à dormir dans la rue. Le pacte avec la rue, Chérifatou GUIGMA, jeune fille de 17 ans, l’a signé de force. Elle a tout simplement été bannie de sa famille suite à une grossesse. « Lorsque mes parents ont su que j’étais enceinte, ils m’ont mise dehors et plus aucun membre de ma famille ne veut de moi » regrette celle qui voit désormais son avenir en pointillés. Le comble est qu’elle a également été rejetée par la famille de son mari et le seul domicile qui a bien voulu lui ouvrir ses portes est la rue de Ouagadougou où elle passe désormais ses jours et nuits.

A côté de Chérifatou, sur le sable mouillé par la pluie, se tient une autre dame de 43 ans. Vêtue d’un grand voile, la souffrance et les épreuves qu’elle traverse laissent voir des rides sur son visage et donne l’impression qu’elle a 70 ans ou même plus. En plus d’être dans la rue, Mamouna TAOKO vit dans une douleur immense quand elle pense que les enfants pour lesquels elle passe ses nuits et jours dans la rue et est exposée à tous les dangers sont depuis un certain temps sans abris : « Après le décès de mon mari, j’ai confié mes enfants à mon beau-frère qui habite à Marcoussis, mais il les a tous mis dehors. Si je gagne un peu d’argent ou de vivres, je vais à leur recherche afin de leur donner de quoi manger».

Démunies mais unies

Dans cette situation où toutes ces femmes quémandent, la journée de chacune d’entre elle dépend entièrement de ses recettes. La première destination consiste à investir les lieux publics « Le matin très tôt, on sort ensemble et on va dans les marchés, stop. Il y a des bonnes volontés qui nous aident » raconte Mamouna TAOKO. En sortant, elles peuvent faire le tour de la ville à pied malgré l’âge un peu avancé de certaines. La distance importe peu car « si elle ne sortent pas, elles ne mangeront pas ».

Le résultat de 03 à 04h de marche et de mendicité peut rapporter 200 F ou 500 F. « Des fois, vous sortez à cinq et on vous donne 500 F. Vous comprenez que c’est très difficile de se partager une telle somme. On achète donc de la nourriture pour manger ensemble » explique Rakieta. Une autre direction que ces femmes prennent surtout les plus jeunes, c’est faire le tour des domiciles pour proposer leur service de lavage d’habits.

Durant le mois de Ramadan où, les bonnes volontés viennent en aide aux nécessiteux, ces femmes y trouvent également leur compte. Il arrive qu’elles passent une nuit entière dehors, dans une mosquée lorsqu’elles apprennent qu’ « il y a de l’aide à tel endroit ». De même, aux heures de rompre le jeûne, elles se précipitent d’aller dans les différentes mosquées de la ville dans l’espoir de trouver de quoi mettre sous la dent avant d’affronter une autre journée.

Lire aussi:  Maria et Safiatou : médecins le jour, restauratrices le soir

Au fur et à mesure que le nombre de femmes augmente, il se crée une seconde famille. Le courant passe très bien entre elles. Rosalie Kaboré est venue spécialement de Pouytenga pour suppléer sa grande sœur qui est hospitalisée. En train de couvrir les bidons que sa sœur a achetés pour revendre, elle nous raconte les raisons de sa présence sur les lieux. « Je suis venue rendre visite à ma sœur malade qui vit ici depuis maintenant 13 ans. Son unique fils qui restait est décédé et quand elle a appris la nouvelle, elle a fait un malaise » confie-t-elle tout en priant le bon Dieu de lui accorder la santé.

En l’absence de son ainée, c’est elle qui est venue donc prendre sa place dans la rue et qui gère son petit commerce de bidons. Durant son séjour, la ressortissante de Pouytenga confie avoir vu des femmes qui se soutiennent, qui partagent les mêmes peines. « Les femmes se respectent ici et il y a vraiment de l’entente » a-t-elle ajouté.

Cependant il arrive qu’il y ait des divergences sur certains sujets ou même des malentendus, ce qui est d’ailleurs normal pour Rakieta car dans un groupe où il y a plusieurs personnes venues de divers horizons avec différentes manières de penser, il peut arriver qu’on se manque mais « le plus important, c’est de se comprendre et que les ainées soient patientes » a-t-elle soutenu.

Des toilettes de fortune pour femmes en plein air

Chaque jour est un défi pour ces femmes qui dorment dans la rue. Lutter pour manger, lutter pour dormir, lutter se soigner. Bref, lutter pour survivre. Le plus dur pour elle, est de lutter pour préserver leur dignité. Dans la rue, rien ne peut être caché aux passants, même pas leur intimité.

Une petite superficie sur leur espace restreint a été choisie comme toilette. Sans porte ni toit, les femmes se succèdent avec une bouilloire d’eau, un torchon qu’elles mouillent pour faire passer sur leurs corps en guise de bain quotidien. Les habits sont classés telle une exposition sur le sol et battu par le soleil à longue de journée et la pluie. Difficile de fermer l’œil dans une chambre grandement ouverte qui fait face à une grande voie. Le bruit des engins, les feuilles des arbres et les gens mal intentionnées les empêchent de dormir les poings fermés.

Lire aussi: Violences faites aux femmes : « on gagnerait mieux à les éduquer »

Rakieta s’est déjà fait voler son téléphone pendant qu’elle dormait. Depuis ce jour, elle est tout le temps sur ses gardes. Elle se souvient de la dernière pluie qui a fait monter sa tension « je souffre de la tension et le jour où il a plu, lorsque le vent a commencé à souffler, j’ai cherché mon fils devant moi pour le couvrir. Je ne l’ai pas vu et je pensais qu’on l’avait volé et lorsque je me suis retourné je l’ai vu. Cette nuit jusqu’au petit matin, ma tension est montée » se souvient-elle.

Quand il pleut justement, les femmes sont obligées d’abandonner leur site habituel pour se réfugier sous les hangars des boutiques environnantes. Etre à la vue de tous requiert un mental fort parce que dans la journée, elles sont montrées du doigt comme étant les « vieilles sorcières » et à la tombée de la nuit, elles reçoivent des visites d’hommes qui viennent leur proposer de l’argent en échange du sexe. « Mais en aucun cas, personne parmi nous a cédé » rassure Rakieta qui, toutefois n’exclut pas possibilité d’accepter un homme si c’est pour du sérieux.
Justement dans leur hôtel en plein air, ces femmes SDF( sans domicile fixe) dans leur couchette de fortune rêvent toutes d’un abri digne de ce nom, d’un travail et… d’un mari providentiel.

Faïshal Ouédraogo (Stagiaire)