Burkinabè rapatriés de Tunisie: bien accueillis, mal réinsérés
Une vue des Burkinabè rapatriés avec des autorités du pays (Ph. Studio Yafa)

Burkinabè rapatriés de Tunisie: bien accueillis, mal réinsérés

15 mars 2023. Des Burkinabè vivant en Tunisie sont rapatriés suite à des violences subies dans leur pays d’accueil. C’est un premier contingent de 64 immigrés qui foule le sol de l’aéroport international de Ouagadougou.  Quelques mois après, une équipe du Studio Yafa est allée sur les traces de ces rapatriés. Certains sont dans la rue.

Les temps ont changé. Il y a quelques mois, ils étaient au centre de toutes les attentions. Accueillis en grande pompe, avec renfort de la presse nationale et internationale. Le tout, en présence de membres du Gouvernement. Mais ces Burkinabè rentrés dans l’impréparation totale sont pour certains sinon la plupart, au chômage et font même souvent l’objet de moqueries par leur entourage. C’est ce que nous apprend Ismaël Nago, 28 ans. Avant de prendre la route de l’aventure, il était chauffeur.

Assis devant l’hôtel où il a été logé pour un moment à son retour forcé, Ismael devisent avec ses camarades. Tête baissée, comme pour cacher sa gêne, il nous parle de sa situation peu enviable depuis son retour. Avec des propos mesurés, remplis de convictions religieuses et de croyance en l’avenir il raconte.

« Celui avec qui je travaillais avant d’aller en aventure, je ne sais pas si c’est une vengeance, mais quand il voit ses amis, il leur demande s’ils me connaissent expliquant que je travaillais avec lui. Il leur dit que je fais partie des Burkinabè chassés de Tunisie, en ma présence et devant beaucoup de personnes», dit-il. Des remarques désobligeantes même dans sa famille, regrette-t-il: «Même dans la famille où je suis, mon cousin me présente en disant qu’on m’a chassé de la Tunisie ».

Dur dur de trouver un emploi

A côté de cela, certains disent avoir vainement cherché un emploi. Parmi ceux-ci, Rachid Bancé 29 ans. Avant de faire sa valise, il avait une boutique de cosmétiques qu’il a rétrocédée afin de partir. Depuis son retour au pays natal, il dit avoir fait la ronde des chantiers de constructions pour un poste d’aide-ouvrier. Rien ! Aucune opportunité d’emploi! «  Après une semaine de travail, il y a eu arrêt de chantier. Depuis lors, je me promène sur des chantiers à Saaba, Zagtouli, Ouaga 2000, vers le Centre hospitalier universitaire de Tengandogo. Mais je ne gagne rien, donc à l’heure-là, je ne fais rien », relate-t-il, la gorge nouée.

Lui, comme certains, émettent l’idée de reprendre le chemin de l’exil, surtout s’ils restent longtemps sans perspective.

Le directeur des Avis juridiques et du Contentieux au ministère en charge des Affaires étrangères, Rasmané Congo (Ph. Studio Yafa)

Cette situation de sans emploi est partagée par beaucoup parmi ceux qui ont été contactés et invités à rentrer au pays par le ministère des Affaires étrangères, de la Coopération régionale et des Burkinabè de l’étranger. Or, ils avaient compris qu’ils allaient avoir des béquilles du gouvernement pour leur réinsertion. Ce qu’affirme Moussa Sawadogo, 37 ans, couturier avant de partir en Tunisie.

Il confie que le gouvernement leur avait promis un soutien pour favoriser leur réinsertion. Il va plus loin en indexant l’Organisation mondiale pour la Migration (OIM) qui les avait contactés en Tunisie et leur avait présenté une offre d’aide pour leur réinsertion au Burkina Faso. Une source interne dans cette structure nous a soufflé que « (…) c’est vrai que l’OIM a collaboré, mais le dossier a été géré par le gouvernement burkinabè qui a voulu porter secours à ses ressortissants en difficulté».

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Le directeur des Avis juridiques et du Contentieux au ministère en charge des Affaires étrangères, Rasmané Congo, anciennement directeur de la Migration et de la Réinsertion par intérim, rappelle que les Burkinabè rentrés de Tunisie en mars 2023 l’ont été dans des circonstances particulières. Il affirme que le ministère en charge des Burkinabè de l’extérieur a une direction de la Migration et de la réinsertion. Mais le volet réinsertion n’est pas fonctionnel. « Le ministère n’a pas un fonds ou des moyens mis à sa disposition pour s’occuper de la réinsertion de façon pratique », dit-il.

Il ajoute que le département ministériel, en général, se tourne vers l’OIM  «qui a un programme de réinsertion », même si celui-ci, « ne peut pas prendre tout le monde ».

Le volet réinsertion n’est pas fonctionnel au ministère chargé des Burkinabè de l’extérieur

Conscient de la situation des rapatriés et ne disposant pas de moyens, le ministère chargé des Burkinabè de l’extérieur, selon les explications de l’ancien directeur par intérim chargé de la Réinsertion, a écrit au département en charge de l’Emploi. Il s’agissait de trouver des fonds pour soutenir la réinsertion des Burkinabè rapatriés. L’OIM a été également saisie dans ce sens. Ces demandes sont restées lettres mortes. Un groupe de rapatriés confirme cette non assistance après le retour au bercail, ajoutant que même jusqu’à ce jour, il n’y a toujours rien qui pointe à l’horizon.

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Le 15 juin 2023, le gouvernement a inauguré le Centre d’Accueil et de transit pour migrants de Bassinko. Une lueur d’espoir pour Ismaël et d’autres migrants qui pourront peut-être y avoir de meilleures perspectives de formation professionnelle.

Moussa Sawadogo, 37 ans, couturier avant de partir en Tunisie (Ph. Studio Yafa)

Selon des chiffres du système des Nations unies, la Côte d’Ivoire est le pays de prédilection des migrants Burkinabè avec 1 309 522 ressortissants, suivent le Ghana et le Gabon, ce dernier étant devenu une destination prisée ces derniers temps.  L’Italie avec 19 491 Burkinabè et la France, 6992, sont les pays européens privilégiés.

Boureima Dembélé