Burkina Faso : le football s’accorde au féminin©Studio Yafa
La qualification de l'équipe nationale féminine à la CAN a créé de l'engouement pour le football féminin.

Burkina Faso : le football s’accorde au féminin

Burkina Faso, le football féminin en quête reconnaissance… (1/5) Première historique pour le Burkina Faso. L’équipe nationale féminine de football dispute sa première Coupe d’Afrique. le Burkina Faso écrit un nouveau chapitre de l’histoire du football féminin grâce à cette première qualification. Le chemin fut long pour arriver à ce niveau.

En cette journée du mois d’avril, la cour de l’école apostolique du quartier Tanghin de Ouagadougou est vide. Les élèves sont en congés. Cependant, quelques jeunes filles trainent au sein de l’établissement. Pascal Sawadogo, entraîneur de l’Association sportive des Etincelles de Ouagadougou est déjà sur place. Une à une, les filles arrivent, font sortir les ballons, les plots, des chasubles etc., les places sous le regard bienveillant de l’entraîneur. L’école est vide est cette soirée où la pluie menace. C’est dans cette enceinte que Pascal Sawadogo forme des jeunes filles au football.

Ce soir-là, l’équipe A, est également au repos après avoir disputé le dernier match de la saison du championnat national la veille avec un nul (0-0) contre l’Association sportive des oisillons (ASO). Son équipe était déjà condamnée à la deuxième place du championnat derrière l’US Forces armées (USFA). Malgré tout, Pascal Sawadogo ne perd pas de temps. L’homme prépare déjà la relève avec les moins de 17 ans. « Le football, il faut le commencer très tôt pour travailler la coordination et la technique des joueuses. Sinon, après cette étape, c’est difficile de travailler ces aspects avec les filles », explique Pascal Sawadogo avec empressement.

Du rêve à la réalité

Pascal Sawadogo a été nommé sélectionneur de l’équipe nationale féminine du Burkina Faso au mois de novembre 2021. L’homme a assuré en qualifiant l’équipe nationale féminine pour la première fois de son histoire à une Coupe d’Afrique des nations (CAN) féminine Maroc 2022. Depuis, les sollicitations sont nombreuses. Des parents souhaitent désormais que leurs filles jouent au football. Une nouvelle source de motivation. Il y a quelques temps seulement, ces mêmes parents s’opposaient à ce que les filles jouent au football. Une révolution, selon lui.

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Charlotte Millogo, capitaine de l’équipe nationale féminine du Burkina Faso connaît bien cette situation. Comme beaucoup d’autres filles, elle a commencé taper dans le ballon en jouant avec des garçons. Charlotte est repérée lors de tournois scolaires et universitaires en 2011 et rejoint les Lionnes du Houet, une équipe de Bobo-Dioulasso. Mais avant d’y arriver, il fallait convaincre les parents.

A l’époque, ses parents estimaient que le football féminin et les études ne font pas bon ménage. « Au début, ce n’était pas facile. Mon papa ne voyait que les études. C’est quand j’ai été admise au BEPC et à mon entrée en seconde en 2011 qu’il m’a laissée jouer parce qu’il a vu que le football n’était pas un frein à mes études », raconte Charlotte Millogo. Titulaire d’un baccalauréat et policière de profession, Charlotte Millogo dit bénéficier du soutien de sa hiérarchie. Elle brandit cet exemple pour montrer à ceux qui peuvent encore en douter que le football et les études sont compatibles.

« … Que le football n’est fait pas pour les filles »

Certains encadreurs ont fait preuve d’imagination pour convaincre certains parents. Martin Wepia, chargé de matériels de l’équipe nationale féminine fait partie des premiers promoteurs de la discipline chez les filles au Burkina Faso. Il fonde en 1998, l’Association burkinabè pour la promotion du sport féminin (ABPSF). A ses début, il se rappelle avoir eu du mal à convaincre les parents : « Ils nous disaient que le football n’est fait pas pour les filles mais pour les hommes. Certains parents nous on dit qu’on regroupait les filles pour abuser d’elles ou faire autre chose mais pas pour le football ».

Par contre, Solange Dah, défenseuse en équipe nationale et étudiante en droit a bénéficié du soutien de ses parents. « Mon papa aimait le sport et il m’avait encouragée à pratiquer l’athlétisme. J’ai vu que c’était un peu bizarre. J’ai viré au football en voyant une fille qui jouait dans mon quartier. J’ai voulu faire comme elle », souligne d’un air nostalgique, Solange.

Malgré les pesanteurs socio-culturelles, le Burkina Faso est considéré comme l’un des pionniers dans l’organisation du football féminin. Au milieu des années 1980 dans le cadre de l’autonomisation des femmes, le président Thomas Sankara avait mis une équipe nationale féminine en place. Mais, elle a fait long feu. C’est pendant les années 1990 que le football féminin a repris son envol. Les autorités traditionnelles se sont impliquées.

L’enracinement du football féminin

En effet, les premiers clubs féminins se sont créés au milieu des années 1990. L’AS SONABEL avait l’une des premières équipes féminines. Quatre équipes dont l’ASSU de Koudougou, ASFEC de Bobo Dioulasso et l’AS SONABEL et une équipe de Banfora se rencontrent en 1997 à Ziniaré pour disputer un tournoi de football féminin. Cette compétition est considérée comme le premier tournoi de football féminin. « C’est après que sont venus les équipes comme Princesses, Gazelles et l’Union sportive de Ouagadougou l’ABPSF, l’USO les Reines de Ouahigouya etc.», raconte Philipe Kéré, membre fondateur de l’ASSU et de l’Avenir football club de Koudougou (AFCK). Ces tournois conduisent plus tard à la mise en place du championnat.

 

« Il n’y avait pas de championnat. Le Mogho Naba avait mis en place un tournoi du 8 mars qui se jouait chaque année. Il y avait des tournois que certains organisaient et c’est comme ça qu’on a mis en place le championnat national par la suite », se souvient Awa Cissoko ancienne footballeuse des Princesses du Kadiogo. Elle est désormais préparatrice physique au sein de l’équipe nationale. Les autorités coutumières ont donc également soutenu le football féminin au Burkina Faso, avec l’implication du Mogho Naba Baongho, le chef des Mossi de Ouagadougou.

Le championnat en 2002

Marguerite Karama est une autre figure du football féminin. Dans les années 2000, la diplomate burkinabè met en place le tournoi des cinq nations. Il regroupait des clubs du Burkina Faso, du Mali, de la Côte d’ivoire, du Bénin, du Togo et du Niger. Cette compétition deviendra plus tard le Tournoi international du football féminin de Ouagadougou (TIFFO). La compétition suscite de l’engouement. Les médias sont mobilisés des joueuses comme Awa Yao dit Farato, Habibou Sana, Haïbata Niampa, Kadiatou Traoré, Aminata Sissoko etc. commencent à se faire un nom. Ce tournoi connaît du succès. Grâce à la médiatisation, le public se rend compte que les filles jouent aussi au football au Burkina Faso. 

 

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Le championnat est finalement mis en place depuis 2012 avec parfois des interruptions. Une dizaine de clubs joue en première division actuellement. Huit formations ont pris part à la première édition du championnat national. Celui-ci s’est rapidement développé.

Face au nombre croissant d’équipes, la Fédération burkinabè de football (FBF) se voit contraint d’organiser une deuxième division. La première division, l’élite compte 10 équipes contre 17 pour la deuxième division. Une dizaine d’autres clubs attendent d’obtenir leur affiliation, car même en province, plusieurs équipes féminines ont été créées.

Les écoles, le creuset

Malgré tout, le niveau du football féminin reste bas. « Le niveau de notre football est juste moyen. Au niveau des clubs, à part les équipes de l’USFA et des Etincelles, les autres ont du mal à tenir. Notre principal problème, c’est la formation », regrette Pascal Sawadogo.

Les écoles constituent le creuset pour le développement du football féminin au Burkina Faso. Pascal Sawadogo est en convaincu. C’est pourquoi, il s’est servi de l’école apostolique comme camp de base. Les filles sont recrutées dès la classe de sixième. L’homme s’implique personnellement en prenant en charge les frais de scolarités, les fournitures scolaires, la restauration à la cantine scolaire etc. de ses joueuses. « Lorsque vous payez une partie des frais de scolarité, une partie des fournitures, c’est déjà une épine en moins. C’est ce qui peut motiver les parents à laisser les filles venir jouer au football. En dehors de ça c’est difficile », confirme Albert Somé, président de l’Elite sport international de Ziniaré, un club mixte.

La participation à la CAN féminine 2022 reste un espoir pour les acteurs de voir plus le public sportif accorder plus d’importance au football féminin. « Quand le public verra les filles jouer, on comprendra que le football est fait pour tous et il y aura encore plus d’intérêt », espère Albert Somé. Au-delà des préjugés, le football féminin au Burkina Faso est confronté à des difficultés organisationnelles et structurelles.

Boukari OUEDRAOGO

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