Burkina : Manga, la ville et sa réputation de sorcellerie
La place Naba Silga à l'entrée de Manga (Ph. DR)

Burkina : Manga, la ville et sa réputation de sorcellerie

Manga dans la province du Zoundweogo dans la région du Centre Sud au Burkina a une réputation: celle d’être un réservoir de pouvoirs surnaturels. Certains de ses habitants seraient ‘’wackés’’(dotés de capacités mystiques) leur permettant même de voyager dans les airs, nuitamment, juchés sur des balais. Mythe, réalité, ou simples vannes lancées par les parents à plaisanterie de Saponé ? En ce 15 mai, journée nationale de célébration des coutumes et traditions, petit voyage sur les ailes de l’épervier qui donne son nom à la ville.

11 décembre 2018. Le Burkina célèbre le  58e anniversaire de son accession à l’indépendance. Cette année-là, c’est Manga qui accueille les festivités en présence du chef de l’Etat et de son gouvernement qui assiste le défilé civilo-militaire. Une troupe exécute le « djen-djéré »: la danse des guerriers du canton de Manga, réservée aux initiés. En face de la tribune officielle, un d’eux, après avoir avalé un œuf en ressort un poussin nouvellement éclos. Le public acclame. Nous sommes à Manga et la ville confirme sa réputation de cité d’hommes et de femmes aux pouvoirs mystiques…

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Capitale de la région du Centre-sud et chef-lieu de la province du Zoundwéogo, la province a toujours eu cette image qui lui colle à la peau. Dire que l’on vient de Manga fait souvent de vous, une personne crainte. La localité étant réputée pour regorger de gens qui ont des pouvoirs mystiques. « Avant quand on affectait les fonctionnaires ici, ils avaient tellement peur à cause de cette réputation de sorcellerie », reconnait le Baloum Naba de Manga, chef de la cour royale. Il s’empresse de préciser que les choses ont depuis changé. Peut-être.

Pauline Ouédraogo ressortissante de la ville dit continuer de faire cette expérience : « quand tu dis que du viens de Manga seulement, les gens te regardent bizarrement. Les plus courageux te disent clairement qu’il faut se méfier de toi. Mais certains aussi le disent juste pour s’amuser ».

Pouvoirs et non sorcellerie

Assis sous un hangar, le Tenteng Naaba koanga semble revisiter le passé avec son regard lointain dans le vide. C’est avec fierté qu’il explique que c’est sa circonscription qui élève le fils aîné du chef. Notamment, «en lui apprenant à défendre son terroir, comment gouverner, pour éventuellement remplacer son père un jour ».

Demander au Tenteng Naaba si le wack ou la sorcellerie est une réalité à Manga. Il vous répondra d’abord par un sourire malicieux, avant de répondre  : « Je connais un chef, si vous lui dites que la sorcellerie n’est pas vrai, il vous attrape pour vous faire savoir que ça existe bel et bien. Il ne va pas vous tuer, il vous brule juste une oreille par son pouvoir pour que vous sachiez que c’est vrai ».

Le ministre du chef de Manga parle de la réalité de la sorcellerie, dans le sens noble du terme, insiste-t-il, tout en notant qu’il y a plusieurs puissances en la matière. « Il y a des sorcelleries à 4 yeux, 6 yeux, 24 yeux, 200 yeux », explique-t-il.

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Personne ne vient au wack par plaisir, précise pour sa part le Baloum Naba. C’est pour se prémunir. Lui préfère le terme de « pouvoirs » à la sorcellerie « Avant, nos pères avaient des méthodes pour se protéger. Le wack réussissait aux gens de Manga. Si tu sors hors de Manga et que tu jures au nom de Naba Silga (un de nos chef guerrier), rien ne va t’arriver (…) On nous traitait de sorciers.  Ce n’est pas le cas, c’est un pouvoir », dit-il avec conviction.

Le Baloum Naba de Manga © Studio Yafa

Même son de cloche pour le Tenteng Naba pour qui ce n’est pas pour se faire voir que l’on fait recours à certains pouvoirs surnaturels: « C’est souvent quand on est dos au mur qu’on le fait, souvent parce qu’il n’y avait pas d’autres choix. Voilà pourquoi on dit qu’on ne donne pas le wack à un peureux ».

La nostalgie d’un passé

Le Baloum Naba fait le constat que certains pouvoirs mystiques sont en passe de disparaitre. « Aujourd’hui, les pouvoirs sont dilués. Ce n’est plus assez fort. Ça correspond à ce que nous pouvons supporter seulement », se contente-t-il.

 Le Tenteng Naba Koanga lui est plus amer. Pour lui, cette perdition est la cause des malheurs qui s’abattent sur plusieurs contrées du pays (il cite la crise sécuritaire).

« Je suis déçu vraiment à cause de l’abandon de certaines choses. Quand il y a un problème nos enfants ne peuvent plus faire preuve de bravoure avec le wack pour nous sauver. C’est inquiétant et désolant.  Quand tu vois une lance, une flèche, c’est la débandade. Ils nous ont flatté, on a jeté pour nous. Et nous voici sans aucune défense, vulnérables », soupire le ministre du chef.  En plus des religions dites révélées, le sage pointe du doigt la modernité et les jeunes qui s’adonnent aux mondanités alors que le wack a des interdits.

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Du coup, les personnes âgées détentrices de pouvoirs séculaires ont peur de leur confier des secrets. « Les jeunes n’écoutent pas, du coup si on s’amuse, certains pouvoirs peuvent même leur écourter la vie. Pourtant c’est quand tu es sage qu’on te montre certaines choses. Ce n’est pas une question d’argent. Si tu te comportes bien, un vieux peut même te dire qu’il n’a rien à te donner, mais prends des choses pour te protéger », poursuit le ministre.

Le tenteng Naba émet un autre point de regret. Le manque de promotion de ce qu’il appelle la bonne sorcellerie qui pourrait profiter au plus grand nombre. « Même le téléphone, c’est de la sorcellerie aussi dans une certaine mesure.  Mais avant,  nous aussi on envoyait des commissions d’un village à l’autre par le vent, la pluie ou la foudre. Les Blancs ont tamisé leur sorcellerie, l’améliorer pour que cela soit profitable à tous », défend le vieil homme, avec un brin de nostalgie.

Tiga Cheick Sawadogo