« Allah ti kouman », là où Dieu lui-même ne parle plus (2/3). Vivre à côté de Allah ti kouman est un supplice pour les riverains. En plus des nuisances sonores jusqu’au petit matin, les parents regrettent la dépravation des mœurs qui biberonnent leurs enfants dès le bas âge. La rafle de la gendarmerie a été un espoir de courte durée pour certains qui espéraient la fermeture des lieux.
Comme si elle nous attendait. Zalissa (nom d’emprunt), vendeuse de zoom-kom (jus à base de petit mil), lave son matériel de travail et s’apprête à quitter son lieu de commerce situé en bordure de la principale voie rouge qui traverse Sondogo à partir de la gare routière. « Nous disons un grand merci à la gendarmerie qui est venue. Nous souhaitons même qu’elle multiplie ce genre d’actions dans le quartier », s’empresse la commerçante, quand nous lui demandons son avis sur la descente des forces de l’ordre dans le quartier, il y a quelques semaines.
Mais pourquoi un tel souhait ? Relançons-nous. Et Zalissa d’embrayer : « La nuit, nous n’arrivons pas à dormir. Jusqu’ici au bord de la route, c’est du bruit. Les clients boivent ou sont sous l’emprise d’autres produits. Ça crie, ça court, ça fait la vitesse quand ce ne sont pas des voleurs qu’on poursuit. Pendant une semaine, on peut ne pas fermer l’œil. C’est un lieu de vente et de consommation de drogue », poursuit la commerçante. Excessive ou pas ? Difficile de confirmer ses propos sur la présence de drogue à Allah ti kouman. Par contre, les autres griefs sont partagés par plusieurs riverains.
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C’est le cas de la famille que nous nommerons Ouoba, installée dans le quartier depuis 2002, avant Allah ti kouman. Après une journée de travail, le chef de famille fait la causette avec sa femme, pendant que leur enfant est couché, manipulant un téléphone. Torse nu, assis sur un tabouret, M. Ouoba, d’une petite voix calme empreinte de résignation dans sa cour non clôturée, précise que : « Souvent, les gens se frappent jusqu’à venir marcher sur nous ici. Avec des machettes même les gens se battent ici. Il y a de la peur ».
Sa femme de poursuivre qu’ « avant-hier, on était couché et quelqu’un est venu s’arrêter avec une autre personne en menaçant de la poignarder avec un couteau ». Comme une confession, Mme Ouoba nous apprend qu’elle-même fait du nettoyage à Allah ti kouman.
Impuissant face à l’ogre
Koffi (nom d’emprunt) est encore mal loti. A 21h passées, sa cour donne l’air d’être un débit de boisson avec la musique à fond. Lui également devise avec sa femme pas loin de ce vacarme qui leur revient en plein tympan. De sa cour, on peut voir l’un des parkings de Allah ti kouman et le ballet incessant des clients, notamment des jeunes. « Ça dérange beaucoup. On ne peut pas dormir », se contente le chef de famille.
C’est sa femme qui ajoute une couche, plus précise. « La musique, si ce n’est à 3h ou 4h ils vont arrêter, et nous aussi on va dormir un peu », maugrée-t-elle.
Et ce n’est pas tout, Mme Koffi se met debout et nous invite à regarder derrière le mur de sa maison. Des eaux usées qui ruissellent, des sachets plastiques et autres déchets qu’elle met aussi sur le compte de ses voisins visiblement indésirés. « En termes de saletés, regardez. On a parlé fatiguer. On dit à chacun de compter son argent pour acheter son lopin de terre », résume la dame, comme pour dire qu’à défaut d’aller voir ailleurs, il faut s’accommoder à cet environnement.
« Nos filles regardent… »
Quand on évoque les conséquences de cet environnement sur l’éducation des enfants, c’est en chœur que les parents relèvent encore l’évidence. « Nos filles regardent les comportements ; cela ne nous plaît pas mais nous n’avons pas le choix. Nous sommes impuissants et nous avons peur », soupire Zalissa, la vendeuse de Zoom-koom.
Quant à la femme de Koffi, elle est catégorique. Les enfants qui sont nés et ont grandi dans cet environnement sont juste irrécupérables. « Les enfants sont gâtés. Ce sont des enfants de rien du tout. Ils causent là-bas. On ne peut plus les maîtriser », se désole-t-elle, en insistant sur les vains efforts des parents pour garder les plus jeunes loin des nuisances multiformes de leurs gênants voisins.
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C’est donc avec espérance qu’elle a vécu la rafle de la gendarmerie dans la nuit du 12 au 13 avril 2025. « Ce jour-là, s’ils avaient fermé ce coin, on serait très contents », lâche-t-elle.
La femme de Ouoba, qui fait le nettoyage à Allah ti kouman, est plus tempérée quant à l’impact du club libertin sur les enfants. « Le patron (de Allah ti kouman, Ndlr.) n’accepte pas la présence des enfants. Il les chasse, mais ce n’est pas simple », dit-elle.
Mais que disent les premiers responsables, en tout cas ceux qui gèrent ce grand établissement ? Sont-ils au courant de toutes ces complaintes du voisinage ? De quoi Allah ti kouman est-il vraiment le nom ? Demain, nous leur tendons le micro pour clore notre série.
Tiga Cheick Sawadogo