« Allah ti kouman », là où Dieu lui-même ne parle plus (3/3). La prostitution n’est pas interdite par la loi au Burkina, c’est plutôt le racolage qui est réprimé. Et il n’y a pas de racolage à Allah ti kouman. C’est ce que défendent des responsables des lieux qui estiment que l’État devrait même les soutenir, eux qui contribuent à lutter contre le chômage. Dans ce dernier article de notre série, nous leur tendons le micro. Comme Allah qui ne parle par ici, les responsables sont aussi silencieux sur certaines questions.
Dans la journée, à Allah ti kouman, c’est le calme plat. L’endroit est méconnaissable. Plus de musique à fond, plus de jeunes agglutinés autour des machines à sous. Les parkings improvisés ont disparu. Et surtout, aucune fille ne cherche à aguicher. Elles sont pourtant bien là : certaines font la lessive, d’autres discutent à l’ombre de hangars de fortune, ou s’affairent à la cuisine. Une vie presque normale.
Au comptoir des débits de boissons, seules quelques personnes traînent. Avec deux collègues, toutes deux des femmes, nous arrivons sur les lieux. Que viennent faire ces trois personnes ici, en plein jour, doivent sûrement se demander les habitués. Les regards sont inquisiteurs. Nous nous installons dans un bar, commandons à boire. Notre présence suscite curiosité et interrogation. Ça se voit dans les regards.
Il faut éviter de trop fixer ces filles qui passent et repassent, à peine vêtues. Nous attendons notre guide, qui doit nous indiquer avec qui nous pourrons échanger. Les responsables de « Allah ti kouman » sont pourtant là, discrets, observant. Nous le saurons très vite.
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Une jeune fille est assise à l’écart, des écouteurs sans fil vissés aux oreilles. Nous décidons de l’aborder, tandis que nos deux collègues discutent à côté. À peine avons-nous échangé quelques mots qu’elle nous invite à rencontrer un homme qu’elle appelle « son patron ». Où puis-je le trouver ? demandons-nous.
Pas besoin de chercher. C’est lui-même qui nous interpelle et s’avance vers nous. Nous allons à sa rencontre et lui expliquons la raison de notre venue.
Après nous avoir installés, il nous revient une quinzaine de minutes plus tard, cette fois, accompagné de deux autres personnes. M. Sanou, notre premier interlocuteur, très vite dit ne pas comprendre pourquoi le contrôle de la gendarmerie à Allah ti kouma suscite tant de commentaires et de réactions aux allures moqueuses, surtout sur les réseaux sociaux, alors que ce n’est pas la première fois que cela est fait.
« Même ailleurs on contrôle, pourquoi c’est chez nous la seulement dont on parle beaucoup », se demande-t-il, en ajoutant que lui et ses camarades travaillent depuis des années en collaboration avec les forces de l’ordre pour sécuriser les lieux. Rien de nouveau alors sous ce soleil d’avril.
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Il finit par mettre la mauvaise publicité et surtout les rumeurs de fermeture de Allah ti kouma sur le coup de la jalousie de la concurrence. « Dans une famille, si une personne évolue et le reste n’évolue pas, il y aura toujours de la rancune, de la jalousie. Ceux qui parlent du coin, la plupart n’ont jamais mis pieds ici. Ils pensent que c’est une maison ou tu trouves des femmes, tu rentres, tu fais ce que tu veux et partir. Ce n’est pas comme ça » , se défend M. Sanou.
Et celui qui est présenté comme le responsable de la sécurité et qui travaille ici depuis plus de 20 ans, M. Yabré, de renchérir : « Chaque année, nous recevons la visite des forces de sécurité. Quand elles viennent, c’est pour le parking et le contrôle des pièces d’identité. C’est nous-mêmes qui les aidons pour les contrôles. Si tu n’as pas les pièces de ta moto et ta pièce d’identité, on t’amène. Si tu es en règle, tu n’as aucun problème ». Donc de la surenchère de la part de ceux qui ne connaissent pas vraiment Allah ti kouman ou qui seraient jaloux de son succès. « On dit qu’ils sont venus ramasser les gens, fermer l’endroit. Pourtant, il n’en est rien. Ils n’ont rien fermé », insiste le responsable de la sécurité.
M. Tapsoba, qui est présenté aussi comme un des responsables de Allah ti kouman ajoute que les « habitués savent que c’est normal qu’il y ait des contrôles » et même que cela leur permet d’assainir leur cadre de travail, eux qui ne sont pas censés savoir qui est délinquant, voleur, recherché par les autorités.
Cours d’histoire et ces questions sans réponses
Mais pourquoi Dieu ne parle pas ici ? Pourquoi le nom Allah ti kouma. Petit cours d’histoire. En réalité, M. Sanou explique que le nom officiel, c’est « Galaxie Night Club ». Mais cette appellation a du mal à prendre à cause d’un autre établissement qui existait à un jet de pierre de là, il y a quelques décennies. « Il y a une femme qui avait ouvert son endroit, qu’on appelait Allah ti kouma. Nous sommes venus la trouver. Quand elle a fermé et est partie, son nom a suivi notre endroit », explique le plus ancien, M. Yabré.
Nous comprenons que toutes nos questions n’auront pas de réponses. Surtout celles qui touchent aux filles. D’où viennent-elles ? « De partout, il y a toutes les nationalités », se contente-t-on. Combien de chambres disposez-vous ? Le sourire est narquois avant la réponse évasive de M. Sanou : « ça on ne peut pas répondre ». Mais qui peut répondre ? C’est le silence.
Mais nos interlocuteurs tentent de convaincre « Galaxie Nigth Club » et non « Allah ti kouman », c’est avant tout ces six maquis et cette boite de nuit. Nous sommes pourtant entourés de lupanars qui grouillent de monde à la tombée de la nuit. Le nombre de clients dans les débits de boisson pouvant se compter au bout des doigts.
Une confession à peine voilée
A force de questions, M. Sanou finit par ouvrir une brèche, quelque peu agacé. « De ce que je sais, la prostitution n’est pas interdite par la loi au Burkina. Mais c’est le racolage qui est interdit. (…) la prostitution est le plus vieux métier du monde, pourquoi interdire ça. Vous pensez que c’est combien de personne on emploie ? Si c’était dans d’autres pays, l’État devrait nous épauler, puisqu’on lutte contre le chômage. Hormis notre entreprise, il n’y a combien de personnes qui se nourrissent dans l’entourage. Des boutiques ouvertes tout autour, des femmes qui vendent de l’eau, qui font le nettoyage… », épilogue celui qui se présentait juste comme un gérant de débits de boissons dans le « Galaxie Night Club ».
Toujours sur ses gardes, M. Sanou esquive les questions et coupe presque la parole à deux collègues qui, en répondant, glissent sur ce qui apparemment de devrait pas être dit. Sur la question de notre collègue qui demande les conditions que doivent remplir les filles pour travailler à « Galaxie Nigth Club », sa réponse traduit un certain agacement. « Tu veux travailler non ? », répond-t-il.
Sur les plaintes des riverains qui accusent « Galaxie Night Club » de nuisance sonore, les responsables expliquent leurs efforts pour les réduire, mais estiment qu’il n’ y a pas de débit de boisson à Ouaga qui ne fait pas de nuisance sonore.
A Allah ti kouman, le jour cache ce que la nuit révèle. Entre déni assumé, économie de survie et zones d’ombre bien gardées, chacun joue son rôle dans un équilibre fragile jusqu’au prochain contrôle, ou jusqu’à ce que les voix des filles, elles aussi, trouvent enfin à se faire entendre.
Tiga Cheick Sawadogo