L’enseignement de base du Burkina Faso a connu un changement ces deux dernières années. Le cours préparatoire et le cours élémentaire première année utilisent de nouveaux manuels. Une petite révolution dans le domaine de l’enseignement des tout-petits, mais les acteurs regrettent entre autres un décalage entre le contenu de ces manuels et l’âge des apprenants. Immersion.
Il est 10 h à l’école primaire Tanghin Barrage A, située au secteur 17 de Ouagadougou. Chaque enseignant est occupé à ses tâches quotidiennes. De la lecture par-ci, de la table de multiplication et la pose des opérations par-là, l’atmosphère est studieuse.
Dans la classe de CE2 A, Alizèta Saré apprend la lecture à ses élèves. Institutrice depuis 21 ans, elle a tenu toutes les classes du primaire. Sur les nouvelles réformes depuis 2023, elle dit avoir accueilli d’abord l’information avec enthousiasme. Ce, parce que cela contribue à améliorer les pratiques, surtout que « la société évolue ».

Il a fallu, avant tout implémentation, former le corps enseignant sur l’étendue du territoire sur les nouvelles approches. Il s’agit notamment du système API (Approche Pédagogique Intégrante consistant à mettre en valeur la pratique et le travail collectif dans les classes). Alizèta Saré et ses collègues ont bénéficié de 72 h pour cette formation.
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Pour l’institutrice, ce système a été bien pensé en ce qu’il apprend aux jeunes apprenants l’intérêt pour le travail collectif tout en leur permettant de se découvrir. « Ce système consiste à former des groupes de 5 élèves, par exemple. On leur donne soit des images à identifier, soit des objets, et ils sont amenés à se concerter pour trouver la réponse ensemble », explique Alizèta Saré.
Pour elle, cette méthode permet d’éviter le ‘’boit-l’eau’’, c’est-à-dire cette tendance à apprendre par cœur les leçons, sans forcément pouvoir l’expliquer. « Avant, un élève pouvait te réciter un texte comme ‘’Gogo va au marigot’’ sans faute. Lorsque tu vas lui dire de te montrer le marigot dans le livre, il est incapable de le faire. Ou je réécris la même phrase au tableau et je lui dis de lire ; il ne peut pas, pourtant, dans le livre, il le lit proprement », poursuit l’enseignante.
Des manuels appréciés, mais…
Les nouveaux manuels scolaires ont des contenus qui tranchent avec ceux qui étaient utilisés depuis plusieurs décennies. Plus d’images, diversité de couleurs, des textes mieux adaptés aux apprenants, des exercices pratiques en plus des expressions orales. Tout est pensé pour offrir aux utilisateurs une meilleure expérience d’apprentissage. Alizèta qui apprécie le contenu des nouveaux manuels, remarque qu’ils permettent d’apprendre vite et bien.
Par contre, elle suggère des corrections. « Les textes, dans le livre de lecture, sont issus de notre milieu sociétal, mais ils sont souvent inadaptés », souligne-t-elle. En exemple, le son ‘’Z’’, que les élèves ont du mal à prononcer. « Avant, avec « Zida va au zoo » dans l’ancien livre, toutes les lettres se trouvant dans le texte, l’écolier les connaissait déjà. Mais maintenant, pour découvrir le son « z », le texte qui leur a été soumis, c’est « Amza est responsable de classe », décortique Alizèta. Selon elle, cette phrase contient des mots comme « responsable », que le jeune apprenant a du mal à prononcer, sans compter qu’il ne sait pas ce que cela signifie.
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L’enseignante déplore aussi l’interférence linguistique qui joue souvent sa partition dans les prononciations. Dans un milieu mooréphone, des apprenants prononcent ‘’desponsable’’ ou ‘’calasse’’ au lieu de »responsable » et »classe », juste parce que des sons comme ‘’cl’’, ‘’bl’’, ‘’es’’ leur sont étrangers et difficiles à prononcer.
Dans la classe voisine, plus précisément celle du CP2, Pascaline Sankara est dans la même dynamique. Ce matin-là, elle apprend à ses élèves comment bien lire. Elle dit également avoir bien accueilli les nouveaux livres. Malgré tout, elle relève la longueur des phrases et le niveau élevé de certaines expressions. « Le 21 avril dernier, dans ma classe, j’ai peiné à apprendre la phrase « Sié est dans un fauteuil de feuilles d’arbres ». Ce texte, ne sied aucunement à un niveau CP. », s’indigne-t-elle. Des mots comme ‘’Corneille’’, ‘’Rouge vermeil’’, ‘’Chandail blanc’’, elle les trouve inadaptés pour des élèves du CP.
Des parents sur la même longueur
Dans la famille Naré, après le diner, la révision avec les enfants fait partie de la coutume. Madame Naré se met à la tâche avec sa fille Eléonora qui fait la classe de CP2. « Chaque soir, elle sort toutes les leçons qu’elle a vues aujourd’hui et ensemble, nous faisons des révisions », explique-t-elle. Une manière pour la mère d’évaluer sa fille sur ce qu’elle apprend au quotidien.
C’est ainsi qu’elle a remarqué que la lecture est la plus difficile de toutes les matières. « Ma fille a souvent du mal à prononcer certains mots dans le livre et souvent, moi-même, je ne m’en sors pas », reconnait la parente d’élève qui propose que le livre de lecture soit adapté vraiment au niveau et à l’âge des apprenants.
Le constat est plus ou moins similaire dans la famille Kabré. Sandrine Kabré est la mère de Jérielle qui fait aussi le CP2. « Pour dire vrai, il y a des mots assez difficiles à prononcer et même à comprendre », constate-t-elle. Du coup, Sandrine n’hésite pas à faire recours à son frère qui est du domaine de l’enseignement quand elle n’arrive pas à faire comprendre certaines leçons à sa fille.
Le regard de la veille
Le Cadre de concertation des ONG et associations actives en éducation de base au Burkina Faso (CCEB-BF), œuvre pour l’amélioration de la qualité de l’éducation. Dans le cadre du projet FASOVeil, il a organisé un sondage sur la mise en œuvre des curricula au niveau des écoles primaires. Les avis des parents, élèves et cadres du ministère de l’Enseignement de base ont été demandés.

Selon Rayaissé Hadé Zougouri, chargée de projet au CCEB-BF, il ressort que ces nouveaux livres ont été élaborés en tenant compte du contexte national et des valeurs sociales. Pour elle, on y remarque la prise en compte des thèmes émergents.
Comme tous les acteurs, elle relève néanmoins des insuffisances qui doivent être revues. Il y a le niveau élevé pour les apprenants du CP. Sans compter le nombre limité de livres. Autant de défis à relever. Le CCEB-BF entend donc formuler un plaidoyer auprès du ministère afin de rattraper les insuffisances.
Mousso News avec Studio Yafa