Le barrage de Goinré à Ouahigouya était le témoin de la résilience de centaines de femmes déplacées internes. Formées et encadrées, elles y avaient trouvé le lieu idéal pour la production de pommes de terre et autres produits maraîchers. Mais, depuis quelques années, le site a été abandonné par ces dernières. Ne se sentant plus en sécurité ou à cause de l’assèchement précoce de la retenue d’eau, elles ont dû, avec tristesse, se reconvertir en gérantes de moulin, en espérant des jours meilleurs pour retourner à Goinré.
Les retrouvailles sont chaleureuses en cette matinée. A Oufré, quartier situé au secteur 11 de Ouahigouya, Sayouba Sawadogo retrouve « ses femmes ». Des chaudes poignées de main, des visages détendus, des rires aux éclats. En observant, on comprend vite qu’il y a longtemps qu’ils ne s’étaient pas vus. « Depuis 6 à 7 mois, je ne les avais plus revus. C’est une joie de les retrouver », confirme Sayouba.

C’est lui qui, il y a quelques années, avait réussi à réunir ces femmes déplacées internes et à trouver un financement pour la production maraîchère à Goinré. A l’époque, il dit avoir fait le constat de l’arrivée massive des femmes en provenance des villages voisins, fuyant l’insécurité. Elles se pavanaient ainsi en ville, mendiant ou proposant des services de nettoyage.
Touché par ces scènes, lui-même maraîcher a entrepris d’approcher des propriétaires terriens aux alentours du barrage et des partenaires techniques et financiers pour occuper sainement et dignement ces femmes. « On exploitait plus de 10 hectares à Goinré avec les personnes déplacées internes. La première année, on a eu 85 tonnes de pommes de terre avec 91 femmes déplacées », dit-il, avec un brin de nostalgie teintée de fierté.
La reconversion forcée
A Oufré ce matin-là, environ 6 femmes sont réunies autour d’une maisonnette. Le bruit brouillant d’une machine à moudre enveloppe tout l’environnement. C’est le nouveau travail ‘’des femmes de Sayouba’’. Ressortissante du village de Gondolgo dans le département de Sollé, Noaga Younga est occupée à renverser du maïs ou du mil dans la trémie et à surveiller ce qui en sort.

« Vraiment, à Goinré, c’était plus bénéfique qu’ici. Avec la pomme de terre, on avait assez de revenus pour nourrir la famille, en plus, on en consommait aussi », se rappelle-t-elle. Sa camarade Azèta Belem du village de Ségué ajoute qu’au regard du sérieux des femmes, les autorités et des partenaires les ont soutenues avec des motopompes, des arrosoirs, et même des tricycles pour les convoyer sur le site de production.
Mais hélas. Un jour tout s’est arrêté. « C’était devenu risqué. On a vraiment eu peur entre temps », soupire Noaga Younga. La raison de la peur, ce sont les incursions sporadiques des groupes armés terroristes dans la zone de Goinré. Prises de panique, les femmes ont déserté les lieux, laissant derrière elles leurs rêves d’autonomie.
La guerre de l’eau
En plus des raisons sécuritaires, le tarissement précoce du barrage a mis fin au projet. En effet, à cause de sa surexploitation, la retenue d’eau n’arrivait plus à satisfaire tous les acteurs qui l’exploitaient. « À partir de février-mars-avril, il faut beaucoup plus de moyens pour faire venir l’eau sur les planches », explique Sayouba Sawadogo. En plus des maraîchers, la station locale de l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) utilise l’eau du barrage de Goinré pour l’approvisionnement de la ville de Ouahigouya en eau potable. Le directeur régional de la société d’État, Godié Yonli, pointe du doigt « une multiplicité de motopompes » qui se sont installées sur les différentes rives du barrage.

Selon lui, des concertations ont eu lieu avec les producteurs afin qu’ils arrêtent d’exploiter les ressources en eaux du barrage entre fin novembre et début décembre. « Quand nous-mêmes, nous passons, nous voyons de la verdure qui est là, en train de fleurir. On ne sait plus quoi dire, parce qu’on est face à une situation où les gens sont en train de prélever », ajoute-t-il, comme pour dire que le tarissement précoce du barrage ne fait l’affaire d’aucun acteur.
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En pareille circonstance, ce sont les petits producteurs comme Sayouba Sawadogo et ses femmes qui payent le lourd tribut. « Il n’y a plus de périmètre cultivable. On vend la farine », résume avec amertume Azèta Bonkoungou à côté de ses camarades déplacées.
Reconnaissantes, les femmes déplacées le sont. Après l’aventure de Goinré, la mairie de Sollé leur a permis d’avoir une machine à moudre. Là, elles font de la farine pour revendre ou moulent les grains amenés par les femmes du quartier. Malgré tout, les charges liées à la location du local, à l’achat du gazole et aux réparations de la machine les desservent. La preuve, avec 40 femmes au départ, mais il n’en reste que 7 actuellement.
Alors en chœur, Noaga Younga et ses camarades espèrent un accompagnement et le retour de la sécurité pour reprendre leur activité de maraîchage. À Goinré ou ailleurs.
Tiga Cheick Sawadogo