Le 22 octobre 2025, l’État burkinabè a adopté une nouvelle loi portant réorganisation agraire et foncière. Pour mieux comprendre son contenu et ses innovations, Studio Yafa a organisé un débat public à Léo, dans la province de la Sissili, avec quatre invités : Boris Soubeiga de l’Observatoire national sur le foncier, l’agent domanial à la mairie de Léo, le président de la délégation spéciale (PDS) de la commune, Mouslim Kabré, Kassoum Koalga, et Arouna Tonsa, propriétaire terrien.
D’entrée de jeu, Boris Soubeiga est revenu sur l’esprit de cette loi réformée qui, jusque-là, limitait la propriété foncière à l’État, aux collectivités territoriales et aux propriétaires terriens. « Si l’État voulait un espace pour construire des infrastructures au profit des populations, il fallait procéder à une expropriation pour cause d’utilité publique. Cela demandait une longue procédure, avec parfois des refus », rappelle-t-il.
Avec la reforme, « toute terre sur le territoire du Burkina Faso appartient désormais à l’État. Donc l’État peut entrer en possession d’une terre pour des besoins d’utilité publique, par exemple pour construire une école ou un centre de santé », explique-t-il.
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Mais qu’en est-il alors des propriétaires terriens comme le vieux Tonsa, invité sur le plateau ? À cette inquiétude, Mouslim Kabré apporte une nuance : « Il est toujours propriétaire. Mais si un jour le gouvernement a besoin de cette terre pour des travaux d’intérêt public, il devra la céder, car c’est pour le bien de toute la communauté ».

Arouna Tonsa raconte avoir lui-même été confronté à un conflit portant sur des terres héritées. « Un jour, les enfants de celui qui m’a légué ces terres ont voulu récupérer les parcelles pour les vendre à une société immobilière. Nous avons refusé parce que nous y cultivions », raconte-t-il. Après plusieurs médiations, la situation a été réglée, mais « des cas comme celui-là, il y en a beaucoup à Léo », confirme le PDS Kassoum Koalga. Une réalité qui conforte Boris Soubeiga : « Selon le récent rapport de l’ONAPREGEC, 65 % des conflits sont liés à la terre, dont 17 % entre agriculteurs et éleveurs ». La nouvelle loi, espère-t-il, contribuera à réduire ces litiges. Outre les conflits, le risque de perdre toutes ses terres du jour au lendemain inquiète le public.
Une loi pour réguler les conflits fonciers
Ousseni Ziba interroge sur le processus d’expropriation quant à ceux qui ont des terres avec le titre foncier avant même l’arrivée de cette nouvelle loi. Le représentant de la mairie, Mouslim Kabré, insiste que « même un titre foncier ne garantit pas la propriété absolue si l’État exprime un besoin d’utilité publique. Une situation encadrée avec des mesures de compensation » a-t-il justifié.
Parmi les mesures fortes de la réforme, figure l’interdiction pour les promoteurs immobiliers d’acquérir des terres dans les villages. Désormais, leur activité est cantonnée aux grandes villes.
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Chaque promoteur ne peut obtenir que 5 hectares, et ceux-ci doivent être utilisés pour construire des logements à vendre et non pour revendre des parcelles vides.
Pour demander une nouvelle extension, « il faut avoir construit et vendu au moins 70 % des logements », précise Mouslim Kabré. L’objectif est de limiter les acquisitions massives de terres et les conflits qu’elles génèrent, surtout en zone rurale.
Accès des femmes au foncier et innovations majeures de la réforme
Dans le public, Nadié Tenin a dénoncé les difficultés rencontrées par les femmes lors des appels à projets d’autonomisation, notamment l’exigence de disposer d’un titre foncier. « Mes dossiers ont été déclassés plusieurs fois parce que je n’ai pas de titre », regrette-t-elle.
Mouslim Kabré rappelle qu’« une femme peut obtenir un titre foncier en son nom propre ou au nom d’une association. Il suffit d’en faire la demande et de suivre la procédure, qui peut durer jusqu’à 90 jours ».
Parmi les autres innovations de la loi figurent l’interdiction de la cession définitive de terres rurales aux étrangers (principe de réciprocité), la prise en compte de la réinstallation des personnes déplacées internes et des victimes de catastrophes comme motif d’expropriation, ainsi que l’obligation de digitaliser les procédures et actes fonciers et bien d’autres.
Faishal OUEDRAOGO
