Burkina: Dans le business lugubre du choix du sexe des enfants©SIMON MAINA / AFP
Le business du choix du sexe des enfants est hors contrôle

Burkina: Dans le business lugubre du choix du sexe des enfants

Choisissez le sexe de votre prochain enfant. Eh oui. C’est le business de certaines officines qui prétendent détenir la science pour décider du sexe de votre enfant avant sa conception. Les client.es accourent. Se faisant passer pour un couple dans le besoin, nous avons infiltré ce nouveau commerce insolite qui échappe à tout contrôle.

Un coup de fil et le scénario du  »couple Sawadogo » se déroule. Nouvellement marié, les jeunes tourtereaux veulent choisir le sexe de leur premier enfant. En ville, une ribambelle d’affiches de ce genre pullule (ce que la municipalité qualifie d’affiches sauvages qui repoussent après chaque campagne d’arrachage). Facile donc de trouver un contact.

Au bout du fil, un homme rassure que nous sommes bien à la bonne adresse. Dans la foulée, un rendez-vous est même fixé quelques heures plus tard. Pas de temps à perdre. Il faut juste prévoir 5000 F CFA, comme recommandé par l’inconnu interlocuteur, comme frais de « consultation ».

Le chauffeur dépose ‘’le couple Sawadogo’’ à un jet de pierre du lieu du rendez-vous. Sous le soleil bien incandescent de Ouagadougou en cette période de chaleur, les deux mariés fictifs s’avancent vers un immeuble à deux niveaux. Les escaliers qui mènent au bureau de Wendémi (C’est Dieu qui sait en langue mooré, c’est ainsi que nous l’appellerons) sont exiguës et insalubres. Au premier étage, il y a établi ses locaux de deux pièces. L’endroit est calme. La secrétaire devant un livret ouvert nous accueille et n’hésite pas à nous annoncer à son patron, également seul.

Etre bête pour avoir le bon médicament

« Il faut prendre le rendez-vous avant de venir. Le rendez-vous coûte 5000f ». Cette phrase-là, nous aussi l’avons déjà entendue. Wendémi est au téléphone avec d’autres potentiels clients à qui il rassure du sérieux de son business et bien sûr des conditions pour le rencontrer. Habillé d’une grosse chemise bleue, une cravate nouée comme à la hâte, déchaussé et assis avec des chaussettes, Wendémi a un bureau où tout est déposé en vrac…

Après les présentations, notre hôte s’étonne que nous soyons si jeunes pour solliciter ses services. « Avant on ne donnait pas aux jeunes. Ce sont des gens qui ont trois, 4 filles, 6 filles et qui veulent un garçon…Combien d’enfants avez-vous ? », « Aucun, nous sommes mariés, il y a juste quelques mois » répond M. Sawadogo, et Wendémi de répliquer : « Ah et vous voulez commencer par le choix ? ». « Ah Monsieur, tout est devenu une question de programmation, nous voulons avoir le contrôle de la situation », rétorque M. Sawadogo. Eclats de rire. « Il n’y a pas un couple sur cette terre qui n’a pas besoin de ce médicament. Il n’y a pas d’inconvénients à choisir », nous rassure l’homme.

Il apprécie notre démarche avant de nous lâcher cette phrase : « Comme nous sommes africains, chez nous, on dit que celui qui peut avoir le bon médicament, c’est celui qui est bête », parce que selon lui, il faut vendre son mal pour avoir le remède. Le remède pour choisir le sexe de son enfant, l’homme dit le détenir depuis 20 ans maintenant. Aussitôt, il s’empresse de préciser ; c’est loin d’une arnaque, comme ce que certains pourraient penser. D’ailleurs, lui a dépassé cette étape de suspicions. « Je ne dépends pas de cela, je suis ingénieur. C’est fait pour aider les gens » ajoute-t-il, après avoir encaissé nos 5000 F CFA, sans nous avoir donné de reçu, malgré la demande.

‘’Le couple Sawadogo’’ enchaîne les questions. Imperturbable, Wendémi répond sans esquive. Il rassure encore et toujours sur la qualité de son élixir. C’est un produit naturel, fait à base de plantes. D’ailleurs grand musulman qu’il est, il n’est pas versé dans les pratiques occultes. « Ce n’est pas du wack, c’est le wack qui a des conditions (…) Comme je suis beaucoup islamiste, je ne fais pas des choses en contradiction avec ma foi », professe-t-il.

La soupe de pintade saupoudrée

D’un gros sachet bleu, Wendémi sort le produit censé avoir les propriétés que nous recherchons. C’est une poudre blanchâtre. Hermétiquement emballée. Le mode d’emploi selon notre spécialiste ne semble pas si compliqué. De la soupe de pintade mal ou femelle selon le sexe recherché. On y verse la fameuse poudre sur la viande, en ajoutant tous les ingrédients que l’on veut, avant de laisser le tout cuire à feu doux, pendant 3 à 4 h.

« Quand c’est prêt, vous renversez le contenu dans un plat et avant de manger, vous enlevez la tête. Il n’y a pas d’incantation, rien. Vous mangez avec Madame. Après vous séchez la tête au soleil pendant une semaine. Vous mettrez la tête séchée dans un petit sachet puis vous ferez un trou dans le coussin de Madame et vous mettez dedans. Elle se couche dessus et entre 4 et 5 mois de grossesse, faites l’échographie. Le résultat c’est à 100% », foi de Wendémi.

Ce n’est pas plus que ça, pour avoir une fille ou garçon à coup sûr. Par contre deux conditions. Avant d’utiliser la potion magique, Madame ne doit pas être enceinte et la pintade doit être mangée juste après les règles. Après cet exposé, Wendémi sort une échographie effectuée le 13 avril 2022. Ce serait celle de sa femme qui attendrait un 8e garçon. « A chaque fois c’est ce que vous avez utilisé ? », lui demandons-nous avec candeur. Le « oui » qu’il lance est empreint de fierté.

« Qui prépare la soupe de pintade ? Monsieur peut-il le faire », demande ‘’Madame Sawadogo’’, « s’il fait ça, on va le frapper. Un homme dans la cuisine ? Noon », répond fermement « l’ingénieur ».

« On m’a présenté le pénis et les testicules »

L’idée de la tête séchée de la pintade sous le coussin semble effrayer ‘’Madame Sawadogo’’, qui demande alors s’il n’y a pas d’autres alternatives. La réponse de Wendémi est sèche. « Quand tu mets l’écouteur du portable dans ton oreille, est-ce que tu as peur ? Pourquoi la tête dans le coussin va te faire peur ? ». Silence.

Pour dissiper tout doute, il accepte, à notre demande, de nous transférer les messages vocaux et appels enregistrés de certain.es de ses client.es. Une bonne dizaine de témoignages dans lesquels ceux ou celles qui ont eu recours à ses services se disent satisfait.es.
Morceaux choisis. « Inch Allah ça marcher, on m’a même donné le sexe, présenté le pénis et les testicules » ; « La semaine passée j’ai été faire l’écho et c’est un garçon » ; « C’est une montagne de problèmes que vous enlevez dans les foyers ». Une constance : la plupart des clients étaient à la recherche d’un garçon. N’y a-t-il pas qui viennent à Wendémi pour espérer avoir une fille ? « C’est très rare. Deux ou trois dans l’année », nous enseigne-t-il.

A l’un de ses interlocuteurs, il fait savoir que l’enfant que sa femme attend sera un garçon pile, un garçon à 100%. « Quand il aura 6 mois déjà, dans la cour vous allez savoir que c’est un garçon, il va déranger les assiettes là-bas ». Eclats de rires au bout du fil.

Ethiquement incorrect

Dans sa blouse blanche, Dr Jacques Gilbert Kafando qui officie au Centre hospitalier universitaire de Dédougou nous reçoit dans une clinique de la capitale. Gynécologue obstétricien, le jeune médecin reçoit régulièrement des cas de couple qui veulent choisir le sexe de leur futur enfant. Scientifiquement, et surtout dans une fécondation in vitro avec le diagnostic préimplantatoire, il explique qu’il est possible de choisir le sexe de son futur enfant, même si certains pays ne l’autorisent pas. « Ethiquement, ce n’est pas correct », commente le spécialiste.

A part cette démarche scientifique qui peut même permettre de choisir la couleur des yeux, des cheveux, il existe d’autres théories qui foisonnent sur la possibilité du choix du sexe. La rapidité des spermatozoïdes, la profondeur de relation sexuelle, ou le régime alimentaire…sont autant de théories, non scientifiques qui seraient à même de permettre de choisir le sexe du bébé.

Alors que des officines comme celle de Wendémi propose la recette miracle pour déterminer le sexe de son futur enfant, Dr Jacques Gilbert Kafando prescrit la prudence. « Ça pourrait être dangereux, c’est un terrain qu’on ne maîtrise pas. Les autorités gagneraient à être assez regardantes dans ce secteur », conseille-t-il. Certaines patientes se présentent souvent à lui avec des complications après avoir ingurgité des produits dans leur volonté d’avoir le contrôle du sexe de leur enfant. « Si c’est approuvé, on formalise, mais laisser comme ça, il y a des gens qui se font arnaquer sans avoir le résultat attendu », suggère le gynécologue.

En attendant, le produit de Wendémi coûte 150 000. Nous lui avons promis repasser après avoir rassemblé l’argent. Il avoue n’avoir pas encore des documents légaux qui lui autorisent ce commerce d’un autre genre. Il serait dans le processus pour faire reconnaître officiellement son business. En attendant d’être légal, il continue de faire signe au ‘’couple Sawadogo’’ qui a disparu des radars depuis le rendez-vous qui lui a quand même coûté 5000 F CFA sans reçu.

Tiga Cheick Sawadogo