Covid-19  au Burkina : ‘’ L’état d’alerte sanitaire devrait être limité dans le temps “( Pr Abdoulaye Soma)
Pr Abdoulaye Soma, constitutionnaliste

Covid-19 au Burkina : ‘’ L’état d’alerte sanitaire devrait être limité dans le temps “( Pr Abdoulaye Soma)

L’état d’alerte sanitaire est en vigueur depuis le 26 mars 2020 au Burkina en raison de l’épidémie de la maladie à coronavirus. Cette alerte n’est pas conforme à la loi selon le constitutionnaliste Abdoulaye Soma.

L’alerte sanitaire telle qu’annoncée par le président est-elle conforme à la loi ?
 
L’état d’alerte sanitaire peut être compris suivant trois scénarios : l’alerte sanitaire en dehors de toute mesure juridique, l’alerte sanitaire établi sur mesure juridique et l’état sanitaire post mesure juridique. Qu’il soit l’un ou l’autre, l’état d’alerte sanitaire est avant tout un outil de gestion de la sécurité sanitaire dont la philosophie est d’anticiper sur les risques sanitaires et environnementaux qui peuvent se décliner en attaques bioterroristes et pandémiques d’envergure mondiale.
Dans le cas du Burkina Faso, la déclaration de l’état d’alerte sanitaire a été faite conformément à l’article 66 de la loi N°23/94/ADP du 19 mai 1994 sous forme délibérative en conseil de ministres le 26 mars 2020 et portée à la connaissance du public au moyen d’un communiqué du ministre en charge de la communication. L’analyse de la question de la conformité d’un tel état d’alerte sanitaire avec la loi consistera à vérifier si la déclaration satisfait aux exigences prévues par la loi au triple point de vue organique, procédural et formel.
La décision de déclarer l’état d’alerte sanitaire ayant été prise en conseil des ministres, il est plausible de croire qu’une telle proposition soit faite en conseil des ministres aux membres du gouvernement par le ministre de la santé. Cette hypothèse plausible aurait dû alors permettre au président de déclarer l’état d’alerte sanitaire conformément à l’article 66 de la loi, qui exige qu’une telle déclaration soit faite par « décret ». Or, la déclaration de l’état d’alerte a été faite par un « communiqué », fruit d’une délibération en conseil de ministres. La forme de la déclaration tout en posant un sérieux problème d’illégalité formelle apparente, soulève en outre une autre question sérieuse, à savoir la nature organique de l’acte formellement illégal : s’agit-il d’un acte collégial ? S’agit-il d’un acte pris par le président ou le premier ministre ? Il est clair que par la forme de l’acte, « un communiqué » pris après délibération en conseil de ministres, l’acte est difficilement attribuable au président et au premier ministre. L’hypothèse plausible en de telles circonstances milite en faveur d’un acte « collégial ». Or, la formation gouvernementale en « conseil de ministres » ne constitue pas un organe constitutionnellement habilité à prendre des actes réglementaires. Certes, il constitue un cadre politique gouvernemental de discussion avec pouvoir délibératif. Cependant, les questions sur lesquelles portent les délibérations font l’objet d’une décision réglementaire ressortissant à la compétence propre du président de la République ou du Premier ministre selon les formes autorisées par la constitution.
Il s’en suit que la déclaration de l’état d’alerte sanitaire n’est pas conforme avec la loi visée, notamment l’article 66 de la loi N°23/94/ADP du 19 novembre 1994 en ce sens qu’une telle déclaration devrait être faite par voie décrétale et non par un communiqué.

Est-elle illimitée ?

La déclaration de l’état d’alerte sanitaire étant faite par « un communiqué oral », l’on n’a pas pu trouver des éléments matériels de limitation temporelle dudit état. Mais selon l’article 66, les mesures prises en vertu de cet état doivent être limitées dans le temps. En effet, selon l’article 66, « des mesures obligatoires d’hygiène et de prophylaxie sont appliquées durant une période déterminée et renouvelable au besoin ». Les mesures prises en application de l’état d’alerte sanitaire vont de l’arrêté N°2020-21/PM/CAB du 23 mars 2020 portant restrictions temporaires de libertés au titre des mesures spéciales de réduction de la propagation du COVID-19 aux autres arrêtés pris par les ministres chargés de son exécution. Il est clair que l’arrêté du Premier ministre est anachronique, puisqu’il est endossé au couvre-feu institué par le décret du président dont la légalité est discutable, alors que matériellement, les mesures énoncées par l’arrêté du chef du gouvernement sont des mesures censées intervenir dans le cadre du régime d’état d’alerte sanitaire.
Matériellement, la déclaration d’alerte sanitaire telle qu’annoncée est illimitée dans sa forme. La déclaration de l’état d’alerte sanitaire devrait être limitée dans le temps, ce qui assurerait une lecture confortative entre la déclaration et les mesures prises en application de cette déclaration, qui, quant à elles sont limitées dans la durée avec une possibilité de prorogation.
 
Le président peut-il légiférer par ordonnance dans le cas d’espèce (alerte sanitaire) ?

Il est clair que l’état d’alerte sanitaire est un élément de preuve matériel que le pays traverse une situation d’urgence fut-elle sanitaire, et que les conditions de sa mise en œuvre ne permettent pas aisément au parlement de s’acquitter de manière régulière de ses obligations.  Tout compte fait, théoriquement, le président peut initier la procédure de l’article 107 en requérant l’avis du Conseil constitutionnel. Il pourra, une fois l’avis obtenu, demander l’autorisation au Parlement, en justifiant le caractère urgent de l’ordonnance et la preuve que le recours à la loi par le parlement ne serait pas une voie efficace pour résorber la crise et permettre au gouvernement d’exécuter diligemment son programme afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l’emploi ; et afin de faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation.
Le vrai problème généré par le gouvernement qui mérite attention est la confusion entretenue entre l’état d’alerte sanitaire sous le régime de l’article 66 de la loi sur la santé publique et la situation des circonstances exceptionnelles.