Kadi Tamboura : De Djibo à Ouaga, parcours d’une déplacée résiliente
@Studio Yafa- Kadi Tamboura dans le marché de Gounghin

Kadi Tamboura : De Djibo à Ouaga, parcours d’une déplacée résiliente

Elle n’avait jamais quitté sa ville natale, Djibo, jusqu’à ce que la crise sécuritaire la contraigne à tourner dos à une partie de sa vie. Depuis six mois, Kadi Tamboura a débarqué à Ouaga avec ses trois enfants. Loin de se morfondre, elle essaie de reprendre timidement son commerce de frites de patates et d’ignames qu’elle exerçait à Djibo dans l’espoir d’y retourner un jour.

Peu avant 10h, marché de Gounghin à Ouagadougou. Les allées sont bondées de monde, essentiellement des femmes venues acheter des légumes et autres condiments. Difficile de se frayer un passage pour un non habitué. Une dame, un plat en aluminium sur sa tête se déplace allègrement. Elle marque de temps en temps un arrêt devant un vendeur d’huile, d’ignames, de patates, de pate de tomate, de haricot…

C’est Kadi Tamboura qui fait ainsi son marché. En quelques mois, elle a maitrisé tous les recoins du marché. Des mots taquins avec des vendeur.ses pour finir par convaincre que la jeune dame, l’allure frêle, le pas agile, n’est pas en terrain inconnu. « De nature, je suis dynamique. Je parle aux gens comme si on se connaissait depuis longtemps », nous lance-t-elle.

La vie d’avant la crise

Native de Djibo dans la région du Sahel, Kadi Tamboura a débarqué à Ouaga, il y a six mois. « Entre temps, nous étions obligés de partir. Il n’y avait plus d’école pour les enfants. On ne dormait plus bien à cause du bruit des armes. Il y avait la peur et plus rien même pour se nourrir», explique celle qui s’était fait un nom dans la ville de Djibo.

Dans la journée, Kadi vendait du jus local (bissap, gingembre, petit mil). Dans la soirée, elle enchainait avec des frites d’ignames et de patates. Selon les dires de la jeune dame, le commerce était plutôt florissant.  « Quand j’ai commencé, il n’y avait pas de terrorisme ou peut-être aux débuts de la crise. Le commerce marchait. J’étais bien connue dans la ville pour la qualité de ce que je vendais. La concurrence n’était pas très grande », poursuit-elle.

La capitale et ses réalités

Dans une cours constituée de deux grandes maisons, Kadi est assise devant celle de l’entrée. C’est une maison de deux chambres salon qu’elle loue avec d’autres femmes. Huit occupants au total dans cette bicoque payée à 40 000 F CFA le mois. Elle épluche les ignames et patates. Dans l’après-midi, devant le portail, elle sortira frire les tubercules. C’est son commerce de Djibo qu’elle essaie de reprendre à Ouaga.

«  Quand la galère a chauffé à Ouaga (rires), tu ne peux tendre la main tout temps. Il fallait initier une activité. Une connaissance m’a prêté 15 000 pour trois mois. Je cotise actuellement pour lui remettre, grâce à Dieu, je vais rembourser ma dette », raconte avec un brin d’humeur la mère de Akim, son dernier d’à peine 3 ans qui s’amuse à toucher notre micro.

Avec ses petits revenus, elle arrive à assurer les petites dépenses et à subvenir aux besoins de ses enfants dont les deux premiers sont au collège.

La nostalgie du Djelgodji

A Djibo,  Kadi Tamboura a laissé une partie de son cœur. Sa famille y réside toujours. « Mes frères, sœurs, ma maman sont toutes à Djibo. Je m’inquiète, eux aussi ils s’inquiètent. Ils se demandent comment on vit ici. Nous aussi c’est pareil. Il n’y a rien à manger là-bas actuellement, pas de savon pour laver même les habits », regrette notre interlocutrice. Alors même si son commerce n’a pas encore pris son envol, elle ne s’empêche pas d’envoyer quelques articles à Djibo quand l’occasion se présente, pour soulager des proches.

« Souvent je veux envoyer quelque chose, mais il n’y a pas de moyen. Le convoi est rare et peut atteindre deux mois avant d’arriver. J’ai pu envoyer du sel, du piment, et de petites choses. Quand ils ont reçu, ils étaient très contents. C’est tout ce que je peux faire pour le moment », regrette la déplacée.

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Kadi Tamboura essaie de se reconstruire à Ouagadougou, malgré les difficultés. Le traumatisme subit depuis des années à Djibo ne la quitte pas. Au moindre bruit, c’est la débandade. « L’autre jour, j’ai vu des enfants qui couraient, j’ai aussi fuit. Je croyais que c’était quelques chose comme ce qu’on a l’habitude d’entendre à Djibo », raconte-t-elle.

Son souhait le plus absolu, c’est le retour de la paix à Djibo afin qu’elle y retourne. Quand on s’amuse à lui demander si elle ne finira pas se plaire à Ouaga au point de décider de rester, sa réponse est nette. « Je préfère chez moi. C’est là-bas que je me sens mieux. Je ne paye pas de loyer et tout. Quand tu n’es pas chez toi, tout ce que tu ne connaissais pas, tu vas vivre. Mais ce sont des leçons de la vie », réplique-t-elle, avec une voix empreinte d’émotion.

Tiga Cheick Sawadogo