<strong>Burkina : l’étrange destin des pêcheurs du barrage de la Kompienga</strong>

Burkina : l’étrange destin des pêcheurs du barrage de la Kompienga

Pendant une dizaine d’années, ils ne vivaient que de la pêche à Kompienga dans l’Est du Burkina Faso. Contraintes par les terroristes à quitter cette localité du Burkina Faso, ces personnes sont devenues des déplacées internes à Fada N’Gourma. Elles vivent au jour le jour à la recherche d’opportunités.

Depuis maintenant cinq mois, aucun hameçon n’arrive à saisir du poisson dans le barrage de la Kompienga. Tous les filets sont rangés. Les pirogues ne naviguent plus. Personne n’aurait pu imaginer que tout s’arrêterait d’un coup pour les frères Dahani et Rachelle Namoano comme pour ces milliers d’autres personnes qui ont été contraintes à quitter leur terre natale. Sommé de libérer Kompienga dans un délai de 72h, Dahani, 30 ans peine à cacher la souffrance et le mal qu’il vit encore en silence.

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Dans un tee-shirt blanc, la longueur de son pantalon jeans cachant mal ses pieds tout fendillés, ce père de deux enfants s’est vu obligé de plier bagages avec le reste de sa famille dont ses quatre sœurs et deux frères. « Ce jour-là, ils sont venus nous dire de quitter le village et de ne plus jamais venir pêcher ici sinon, nous serons tués », se rappelle le jeune qui ne vivait que de la pêche.

Avec lui, des veuves qui ont assisté avec impuissance à l’assassinat de leurs maris. Rachelle et ses compagnons ont également reçu l’ordre de déguerpir au risque de subir le même sort que leurs défunts époux. « Devant nous, on a assassiné les hommes et ils nous ont menacés de quitter la ville sinon, c’est nous qui allons mourir », raconte Rachelle, les yeux pleins de larmes. Depuis ce jour, c’est le début d’une aventure nouvelle pour ces personnes qui ne vivaient que de la pêche et du maraîchage. Déplacés à Fada N’Gourma, ils peinent toujours à joindre les deux bouts.

Repartir de zéro

Passer 15 longues années à pêcher du poisson et se retrouver du jour au lendemain sans rien et dans un nouvel environnement. C’est exactement la nouvelle vie de Malguia Dahani. Inutile de consulter un médium pour voir ce que vit ce jeune homme. 30 ans, on serait tenté de lui attribuer la cinquantaine.

Après avoir frappé à plusieurs portes à Fada N’Gourma, il est finalement pris dans une poissonnerie où il était payé à 20 000 F CFA le mois. Difficile de joindre les deux bouts au regard de ses multiples charges. «À Kompienga, par mois, je pouvais avoir entre 70 000 à 100 000 F CFA, parfois même plus. Mais avec les 20 000 F CFA, c’est très difficile. La vie est chère ici et les charges, nombreuses », dit-il avec regret.

Après trois mois à Fada, il tente de retourner dans son village natal pour espérer recommencer son travail, mais aucune chance. « Lorsque je suis arrivé, les terroristes m’ont dit de retourner et de ne pas rentrer dans l’eau. J’étais obligé de revenir à Fada encore et là, je ne sais plus quoi faire. Je cherche du boulot chaque jour», laisse-t-il entendre.

Après avoir quitté le village et fait une escale à Fada, Didier Dahani, un autre déplacé interne tente l’aventure au Ghana voisin dans l’espoir de poursuivre ses activités de pêche. Malheureusement, fautes de moyens, il retourne à Fada N’Gourma. « Quand je suis allé au Ghana, je n’ai pas eu les moyens pour acheter les filets et le matériel et même pour manger c’était difficile. Voilà pourquoi je suis revenu », a-t-il soutenu.

Démunies mais unies

Venues de la Kompienga, au nombre de quinze, les femmes déplacées internes qui vendaient le poisson ont été accueillies par leur clientes d’autrefois à Fada. Réunies en coopérative, ces dernières poursuivent leurs activités malgré les difficultés. « Nous avons formé avec les femmes autochtones une coopérative. Nous sommes au nombre de 21 et comme il n’y a pas de poisson, nous faisons frire et fumer le poisson qui provient du barrage de Bagré. Et ce n’est pas à tout moment qu’on gagne. Ça fait que parfois on fait frire le poisson de mer » explique Rachelle Namoano, PDI et « Pag Naaba » (responsable des femmes de la coopérative).

L’autre difficulté pour ces femmes est l’irrégularité du marché et la difficulté à s’approvisionner en poisson. « Il arrive qu’on vende aujourd’hui et qu’on attende deux semaines ou un mois carrément pour avoir du poisson que nous allons fumer et vendre. Il y a des moments aussi où nous ne faisons rien parce qu’il n’y pas de commandes », poursuit Namoano.

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Toujours en quête d’emploi, ces personnes déplacées internes nourrissent l’ambition de pratiquer leurs métiers d’enfance. Les frères Dahani, en plus de la pêche disposaient d’un jardin maraicher où ils travaillaient après la chasse aux poissons. Ils espèrent poursuivre ce travail et comptent sur des bonnes volontés pour les accueillir. « Si j’ai une personne qui va me prendre dans son jardin ou bien quelqu’un qui va me proposer son terrain pour pratiquer le maraîchage, je pourrai reconstruire ma vie parce que c’est un domaine que je maîtrise », lance Malguia Dahani. Son frère Didier, mari de deux femmes, lance, lui également un cri du cœur. « S’il y a quelqu’un pour m’accompagner, je pourrai reprendre l’élevage que je pratiquais à Kompienga. Ça rapporte bien et je m’y connais également » rassure-t-il. Malgré les conditions difficiles, ces jeunes ont foi qu’ils pourront un jour retourner sur leurs terres, reprendre leurs activités et vivre, à nouveau, avec décence et dans la dignité.

Fayshall OUEDRAOGO