« Afrique en danger », surnom donné au tô, plat populaire du Burkina Faso à base de céréales, suscite de la réticence chez certains jeunes. Des initiatives sont nées pour valoriser ce plat vecteur de la culture et des traditions du Burkina Faso.
Animation inhabituelle au sein de l’Institut national des sciences et sociétés (INSS) de Ouagadougou. Une animation musicale résonne dans cet espace de recherche d’habitude calme. Des femmes installées sous des hangars dressés exposent divers produits. Une dame, concentrée, remue à grands gestes une pâte épaisse de petit mil, se fait remarquer. Elle prépare le tô, une pâte à base de céréale. En effet, l’INSS a dédié cette journée à la valorisation ce plat populaire du Burkina Faso.

Les anciens vouent un respect quasi sacré à cette pâte de mil ou de maïs, consommée depuis plusieurs générations. Pour certains jeunes, le tô ne fait plus autant l’unanimité. Linda Bazongo et Francine Nion font partie de ces jeunes qui ont un rapport difficile avec le tô. A l’écart, dans une des salles, Linda hausse les épaules et affiche un sourire gêné lorsqu’on lui demande son appréciation du tô.
Pas de sauce gluante
« J’aime le tô, dit-elle avec hésitation, mais ça dépend de la sauce. Si ce sont les sauces gluantes comme le gombo, le boulvanka, ou le voaga, ça ne passe pas », explique-t-elle quelque peu gênée et dans un petit rire.

Pour Linda, ce n’est pas tant le tô que l’accompagnement qui pose problème. Avec une sauce oseille ou des feuilles non gluantes, elle se laisse tenter. C’est différent chez sa camarade Francine. « Je n’aime pas le tô. Pour moi, ce n’est pas bon. Tu manges, et après tu as encore faim », affirme-t-elle, radicale. La jeune fille juge le tô préparé en ville trop léger. « Surtout le tô de Ouagadougou, c’est trop léger. On enlève tout, on laisse ça tout lisse. Au village au moins, le tô est plus consistant », souligne Franceline.
Afrique en danger
Malgré sa popularité et bien qu’il soit consommé dans presque toutes les familles, il n’est pas apprécié chez certains jeunes. Il est jugé moins savoureux. D’autres le considèrent même comme le repas du pauvre. Le tô est même devenu la cible de surnoms moqueurs chez certains : « Afrique en danger ». Ce surnom, Dame Véronique Tiendrébéogo/Koné, caissière, qui veut faire connaitre le tô de l’Ouest du Burkina Faso, le connaît. « Les jeunes disent que quand ils mangent, ils ont faim juste après. Il y en a même qui interdisent à leur femme d’en préparer », admet-elle.
Diarra Compaoré, chercheuse à l’Institut de recherche en sciences appliquées et technologies (IRSAT) et nutritionniste, le comprend bien également, ce rejet. « Ce qui fait le tô, c’est la sauce. Si elle est bien faite, le plat est délicieux. Mais en ville, on a tendance à enlever le son de la céréale. Cela enlève une partie des nutriments, donc le tô devient moins rassasiant », explique-t-elle.

Toutefois, elle reconnaît que certains jeunes se disent traumatisés par cette pâte qu’ils consomment dans les villages pendant presque toute l’année, hormis les jours de fête. Mais cette tendance au rejet du tô se retrouve plus chez les célibataires. « Nos recherches montrent que les célibataires l’aiment moins. Mais une fois mariés, et avec l’âge, ils reviennent vers le tô. Il devient un plat familial », poursuit-elle.
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Diarra Compaoré insiste sur la qualité de la sauce de ce repas riche en glucides. Elle conseille de consommer le tô avec des sauces accompagnées de viande ou de poisson. Pour ceux qui n’ont pas cette possibilité, elle suggère de ne pas enlever le son. L’IRSAT mène des recherches sur le sujet afin d’amener les jeunes à mieux apprécier le tô, notamment en milieu rural.

En fonction des communautés au Burkina Faso, la cuisson et la consommation du tô diffèrent souvent. Sorgho blanc, maïs, mil rouge, avec sauce sésame, beurre, tourteaux d’arachide ou feuilles sauvages, etc. ; chacun a ses goûts. Sylvie Traoré, de la communauté Sambla, à l’ouest du Burkina Faso, évoque le « Ka », une sauce verte faite à partir d’une plante épineuse, et le « Kinshoin », un dérivé de sauce à la pâte d’arachide.
Tout un rituel autour du tô
Dans sa communauté Liélé, souvent appelée Gourounsi, faire du tô est une cérémonie à part. Il faut éviter de parler pendant la cuisson, tout en restant concentrée et assise afin de bien cuire la pâte. « Si le tô se fendille au milieu quand on le sert, c’est mauvais signe. Ça annonce une mauvaise nouvelle », explique-t-elle.
La rigueur est la même chez les Mossis. Médiateur traditionnel du Moagha Naba, chef des Mossés de Ouagadougou, Sandaogo Henri confirme ce rituel, presque sacré. « Quand une femme prépare le tô, elle ne doit pas parler. C’est un interdit. On dit que si elle parle, son mari meurt », explique-t-il. D’où, lorsqu’une femme a oublié un objet dont elle a besoin pendant la cuisson, la tradition veut qu’elle le demande par des signes.
Le tô, vecteur d’éducation
Le rituel continue lorsqu’il s’agit de servir le tô. Il faut d’abord préparer la sauce avant de préparer le tô. La sauce est servie en premier à la droite du chef de famille, puis le tô à gauche. « Quand les garçons veulent manger, ils plient les genoux. Les filles tendent les pieds », précise Henri Sandaogo. C’est l’aîné qui enlève la première bouchée de ce repas qui se mange habituellement à la main. Le plus petit commence en dernier et tient le plat d’une main. Il n’a pas le droit de quitter le repas avant ses aînés. C’est lui qui ramasse les plats une fois le repas fini.
« Le tô, ce n’est pas seulement un aliment. C’est un vecteur d’éducation, une manière de transmettre des valeurs. Malheureusement, de plus en plus de jeunes filles ne savent pas le faire », conclut la directrice de l’Institut national des Sciences et des Sociétés, Awa Carole Bambara. Ce qui explique l’organisation de la journée dédiée à ce plat national.
Boukari Ouédraogo