Burkina Faso : conflit foncier sur le site du bosquet Salifou Diallo à Ouahigouya
Des 22 hectares du bosquet, il n'en reste que 7; Ph : Stduio Yafa

Burkina Faso : conflit foncier sur le site du bosquet Salifou Diallo à Ouahigouya

Dialogue de sourds entre des propriétaires terriens et la délégation spéciale de Ouahigouya, dans le Nord du Burkina Faso. À l’origine : un litige foncier autour du bosquet Salifou Diallo. Dans les années 1996, Salifou Diallo sollicite et obtient 22 hectares de terres pour la mise en place d’un vaste projet de production de gomme arabique. Mais, aujourd’hui, une grande partie de cette superficie est occupée par des habitations. Ceux qui avaient cédé les terres à l’ancien président de l’Assemblée nationale estiment en être toujours les propriétaires légitimes. Ils se sont donc partagés les 7 hectares restants. La délégation spéciale, elle, ne l’entend pas de cette oreille.

Le ton du communiqué est martial. Le 10 avril 2025, le président de la délégation spéciale, qui fait office de maire, fait le constat dans un communiqué que le bosquet Salifou Diallo (du nom de l’ancien président de l’assemblée nationale décédé le 19 août 2017) fait l’objet de morcellement illicite. Ce, malgré les multiples sensibilisations et les différentes interpellations.

Ainsi, le président de la délégation spéciale de la commune, Dédano Lucien Amos Lankoandé « somme les auteurs de ces actes de remettre, sans délai, le site dans son état initial (…) ». Le communiqué prévient qu’une opération de démolition n’est pas à exclure. « En cas d’inexécution (…) les services techniques compétents procéderont à la remise en l’état du site aux frais des contrevenants ». Le ton est donné.

Réunion de mécontents

Secteur N° 1 de Ouahigouya. A l’entrée de la ville, sur le bas-côté à droite de la route nationale N°, un vaste espace s’étend. C’est le terrain querellé. Très peu d’arbres, mais plusieurs maisons, surtout en construction. Tout mouvement sur le site est observé, même à distance.

Quelques maisons sont déjà construites sur le site, Ph: Studio Yafa

Il est environ 12 h, nous arrivons sur les lieux. Quelques minutes après, un jeune arrive sur une moto et nous demande de quoi nous avons besoin. Sita Zoromé, c’est son nom, a construit des magasins sur le site. Normal donc qu’il ait été refroidi par le communiqué de la délégation spéciale de la ville.

« Cette annonce a sonné comme un coup dans ma tête. Ça nous fatigue, puisque nous n’avons pas été consultés avant la prise d’une telle décision. Nous ne sommes pas d’accord. Il n’est pas question que nous laissions nos terres », clame-t-il avec force. La température est prise.

Dans l’après-midi, une réunion des personnes ressources a lieu sur le site. Les visages de la dizaine de croquants sont graves.

Au début était la négociation

Boureima Sawadogo se présente comme étant l’un de ceux qui étaient là depuis le début de cette affaire. Au milieu des années 1990, Salifou Diallo, alors ministre en charge de l’Agriculture, a un projet. Il est orienté vers les vieux de Soumyaga puis de Souli, des quartiers de la ville qui exploitent l’espace ou à qui il appartient. « Salif Diallo est venu solliciter ces terres où il veut planter les arbres. Même si Salif voulait un espace qui s’étend jusqu’à Ouaga, il l’aurait eu. Il était puissant et il avait les moyens pour cela », commente le vieux Boureima assis au pied d’une maisonnette.

Le projet de la gomme arabique, financé à l’époque par l’Union européenne, visait entre autres à lutter contre la désertification, à valoriser les produits forestiers non ligneux, à créer des emplois en milieu rural, à améliorer la sécurité alimentaire et à réduire la pauvreté. Après quelques années d’enthousiasme, le projet n’a plus connu de suite. Le site de Ouahigouya s’est dégarni de ses arbres, par l’effet de la coupe abusive du bois ou des animaux.

« Mais regardez autour de vous, quel arbre voyez-vous encore ici ? », lance Boureima Sawadogo. Et Alassane Badini, qui se présente comme de la famille de Salifou Diallo, de préciser qu’il est allé plusieurs fois à la mairie pour attirer son attention sur la nécessité de « protéger les arbres » qui étaient encore sur le site. En vain, déplore-t-il.

Lire aussi : Litiges fonciers, à Bobo, l’Etat et les agences immobilières incriminés

Selon eux donc, le site n’a ni été donné, ni vendu à Salifou Diallo. Mais, convaincus des retombées du projet pour la communauté et le pays, les anciens ont consenti à mettre à la disposition de la tête pensante de l’initiative leurs terres. « Salit Diallo même savait, voilà pourquoi il n’a pas établi de papier », précise Tasséré Sawadogo, un autre ressortissant de Souli.

Une vue de ce qui est présenté comme le bosquet Salifou Daillo, Ph : Studio Yafa

En lieu et place d’arbres qui produisent de la gomme arabique, une bonne partie du bosquet Salifou Diallo est plutôt devenue une zone d’habitation spontanée, généralement appelée non lotie. Sur les 22 hectares, il n’en reste que 7. 6 hectares pour Souli et Soumyaga en raison de 3 hectares chacun et 1 hectare pour la famille de Salifou Diallo. C’est ainsi que les mécontents disent avoir réparti le reste de la superficie.

« La mairie dit que nous sommes en train de parceller pour vendre. Ce n’est pas vrai. Ce sont nos enfants qui construisent ici. Il n’y en a même pas assez pour eux tous, comment on peut se donner le privilège d’en vendre ? Ils nous prennent pour des gens sans défense. Si c’est vraiment nos ancêtres qui ont installé Ouahigouya, qu’ils viennent démolir… », menace Boureima Sawadogo.

Quel avenir pour le site du bosquet?

Pour Ousséni Sawadogo, également ressortissant de Souli, le communiqué de la délégation sociale a contribué à rompre le fil du dialogue, surtout qu’elle est « incapable de nous donner un papier qui prouve que Salif a acheté ou qu’on lui a donné ».

Les deux parties parviendront-elles à trouver un terrain d’entente ? Difficile de le dire. « Entre eux et nous, en réalité, il n’y a même pas de liens en ce qui concerne cette terre. Ce n’était pas à eux qu’on a cédé nos terres. Ils ont fait leur communiqué sans nous, donc nous sommes de notre côté aussi. Ils veulent seulement nous forcer », maugrée le jeune Sita Zoromé qui semble veiller sur ses investissements sur le site du bosquet.

Nous avons tenté en vain d’avoir la version de la délégation spéciale sur ce sujet brûlant dans la ville de Ouahigouya. Son premier responsable a rassuré qu’il communiquera au moment opportun.

Tiga Cheick Sawadogo