Lookman Sawadogo perpétue l’héritage de son père, l’homme qui arrêta le désert
Lookman Sawadogo veille sur un héritage de 40 hectares, Ph : Studio Yafa

Lookman Sawadogo perpétue l’héritage de son père, l’homme qui arrêta le désert

Un arbre est tombé, mais la forêt continue de pousser. L’héritage de Yacouba Sawadogo, ou l’homme qui arrêta le désert, continue de fleurir deux ans après sa mort. Parmi ses 27 enfants, le 25ᵉ est celui qui a pris le relais. Lookman Sawadogo, abreuvé à la source de son père et renforcé par une formation de deux ans à l’Ecole nationale des eaux et forêts, est le nouvel ange gardien du « Bangr Raaga », le marché du savoir, situé à Gourga à Ouahigouya.

Avant de s’engouffrer dans la forêt, un ultime geste de Lookman Sawadogo. Prendre une houe et la passer par-dessus son épaule. Comme son défunt père à l’époque. Le chant intermittent des oiseaux brise le silence qui règne sur le bosquet qui s’étend sur 40 hectares. Le pas agile, le pantalon jeans retroussé légèrement, le guide contourne les arbustes, alerte ses visiteurs pour qu’ils fassent attention aux arbres épineux.

Puis, devant une grande fosse qui s’étend sur plusieurs mètres, il marque un arrêt. Un projet inachevé de Yacouba Sawadogo, consacré prix nobel alternatif 2018 et fait Champion de la terre 2020 par les Nations Unies. « C’est un bouli qui a été creusé à la main. Mais ce que le vieux (Ndlr. Yacouba Sawadogo) voulait, il n’a pas pu le faire. Ça demande énormément de moyens. La vision du vieux était que quand il pleut, l’eau puisse rester. Il y a des animaux sauvages dans la forêt, comme des lièvres, des rats voleurs, des serpents pour qu’ils puissent s’abreuver et les empêcher de sortir dans le voisinage au risque de se faire tuer », explique Lookman. Bien entendu, en prenant le relais, c’est l’un de ses défis : s’investir pour finaliser le bouli.

Une vue du bouli dont les travaux ne sont pas achevés, Ph: Studio Yafa

Devant des arbres, surtout en voie de disparition, il commente, avec un brin de fierté. C’est entre autres l’action salvatrice de ce bosquet qui permet de protéger des espèces presque disparues. Une sorte de dernier sanctuaire pour certaines des 60 espèces, dont une grande partie est médicinale.

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Sur un sol latéritique, on peut voir un trou avec des abords soigneusement taillés. C’est le Birboko ou le trou de la fumure organique. « C’est le vieux qui l’a creusé à main nue, il y a plus de 40 ans. Il amenait les feuilles des arbres pour entasser dans ce trou. Ensuite, il allait puiser l’eau dans le village pour venir arroser », poursuit-il.

A côté du Birboko, des sortes d’abreuvoirs naturels, également sculptés dans la pierre. « Celui-là, je l’ai creusé en 2007, également seul », déclare Lookman en montrant sa fierté du doigt, comme pour dire qu’il y a 18 ans déjà, il était déjà engagé auprès de son défunt père.

Les épis donnés aux oiseaux, une tradition perpétuée par le fils, Ph : Studio Yafa

Même si le fondateur du « Bangr Raaga » n’est plus là, certaines habitudes n’ont pas pour autant cessé. Sur un arbre, on peut voir plusieurs épis de sorgho, déjà picorés, attachés et accrochés à une branche. C’est un cadeau fait aux oiseaux. « Après chaque récolte, il (Yacouba Sawadogo, Ndlr.) venait accrocher des épis pour nourrir les oiseaux. Bien qu’il ne soit plus là, on perpétue la tradition », explique Lookman, tout en poursuivant la visite guidée.

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Dans ce vaste espace, véritable source de savoir et de leçons, c’est aussi un refuge pour certains à la recherche d’un calme reposant ou inspirant. En cette fin de soirée, Wendpouiré Marguerite Ouédraogo a étalé un pagne sous un arbre ombragé. Le cahier ouvert, la jeune fille est en pleine révision de ses leçons, à quelques jours de son examen. « J’aime bien venir bosser ici. C’est calme, sans dérangement. La nature m’aide à mieux retenir les leçons. Ça inspire », apprécie la jeune fille. Elle, comme plusieurs élèves, trouve dans le « Bangr Raaga », un lieu pour s’évader du vacarme de la ville.

La forêt est comme une seconde classe pour Wendpouiré Marguerite Ouédraogo, Ph : Studio Yafa

Soit pour réviser ou pour venir apprendre de cette folie du départ devenue une source de fierté au-delà des frontières nationales. « Dans le mois de mai, j’ai reçu plus de 1000 élèves de Ouahigouya », précise Lookman Sawadogo, qui ajoute qu’il se fait souvent aider de ses frères dans la gestion de la forêt qu’il présente comme « un héritage à conserver et à perpétuer pour le bien de tous ».

Des défis et des idées à la pelle

Mais le jeune homme le reconnaît, entretenir une forêt avec une renommée internationale n’est pas facile. Mais rassure-t-il, l’étendue des défis est un stimulant au quotidien. Ce d’autant plus qu’il s’est fait sa philosophie : « C’est quand tu charges ce qui est au-delà de tes forces que tu souffres ». Une manière de dire qu’il faut aller pas à pas.

Lookman veut continuer les projets de son défunt père, Ph: Studio Yafa

En plus des connaissances acquises auprès de son pater, Lookman Sawadogo s’est inscrit à l’Ecole nationale des eaux et forêts. Pendant deux ans, entre 2015 et 2017, il a pu renforcer ses connaissances en agroforesterie. Outre le projet de terminer le creusage du bouli, Lookman a dans un coin de sa tête l’idée de terminer ce qui tenait son père cœur : réaliser un forage pour alimenter le bouli.

En plus, mettre en place un petit zoo qui va regrouper un échantillon des animaux sauvages dont regorge la forêt. Sans compter la construction de dortoirs pour accueillir ceux qui voudraient passer plus de temps dans la forêt, pour se soigner avec les plantes, ou juste respirer l’air pur de Gourga.

En attendant la réalisation de ces projets, Lookman a mis en place une pépinière. On peut y trouver plusieurs espèces végétales. Il les vend, mais en distribue gracieusement des milliers chaque année à la population. Au nom de Sayouba Sawadogo.

Tiga Cheick Sawadogo