Billets de banque usés: « si on peut lire le numéro de série d’un billet, ne serait-ce que d’un côté, il est valable »
Des billets de banque usés qui circulent difficilement sur le marché et dans les boutiques au Burkina Faso. Photo: Studio Yafa.

Billets de banque usés: « si on peut lire le numéro de série d’un billet, ne serait-ce que d’un côté, il est valable »

Ces derniers temps, il y a de nombreux billets de banque froissés et usés qui circulent sur les marchés et dans les boutiques. Certains refusent de les prendre lors des achats. Dans cet entretien, Abdallatif Zabda, spécialiste en opération bancaire, fiscalité, comptabilité d’entreprise décrypte les causes de ce phénomène. Il alerte également sur certaines pratiques illégales.


On constate ces derniers temps qu’il y a beaucoup de billets détériorés qui circulent. Selon vous, comment peut-on expliquer le fait qu’il y ait beaucoup de billets détériorés sur le marché ?

Effectivement, c’est une réalité. Tout le monde peut faire ce constat aisément dans nos marchés, dans les boutiques et même souvent dans nos institutions bancaires.

On peut dire que cette situation est un peu liée au niveau de bancarisation que connaissent nos États, notamment le Burkina Faso, où les gens utilisent moins les circuits bancaires pour les opérations. Du coup, la liquidité et les espèces restent longtemps entre les mains des citoyens, des commerçants et autres. Ce qui va contribuer à les détruire. C’est ce qui explique ce constat que nous faisons.

Pourquoi est-ce surtout les petites coupures qui sont les plus concernées ?

Simplement, on peut dire que ce sont les billets qui sont les plus utilisés.

Pourquoi?

Vu le niveau de revenus de nos citoyens, de nos concitoyens, ce sont les billets qui sont les plus accessibles. On verra rarement beaucoup de personnes rentrer au marché ou dans les petites boutiques et faire des achats avec les gros billets. Les petites coupures sont plus sollicitées, que ce soit dans nos marchés, dans les boutiques. Un autre phénomène qui peut expliquer cela, c’est que pour les reversements, ceux qui sont dans les circuits bancaires, utilisent plus les grosses coupures pour faire les reversements. Vous conviendrez avec moi qu’il est difficile d’aller faire un versement de cinq millions en billets de mille francs ou deux mille.

Donc du coup, les gens vont collecter les grosses coupures pour faire les reversements, que ce soit les commerçants ou les autres acteurs économiques. Cette situation explique que ce soient les petites coupures qui sont fatiguées et en circulation. Une troisième raison qui n’est pas à négliger, je pense que c’est lié à ce que les Anglais appellent le « thickness », l’épaisseur de ces billets.

« Dans le guichet bancaire, la question revient, il n’y a pas de petites coupures »

Si on tient deux billets, un billet de dix mille francs CFA et un billet de cinq cents francs CFA, qui sont tous neufs. On va remarquer que le billet de dix mille est un peu plus épais que celui de 500 francs CFA. Ça aussi c’est une raison qui peut expliquer. Mais, la principale raison est que les petites coupures sont plus sollicitées dans le circuit économique que les grosses coupures.

Abdallatif Zabda, assure que les billets sont valables tant qu’il y a un numéro de série. Photo: Studio Yafa.

Est-ce qu’il n’y a pas le fait que les gens maltraitent aussi les billets des banques ?

Naturellement, ils maltraitent les billets de banque. Normalement dans les villages ou dans les marchés, nous avons grandi et constaté que nos mamans attachent les billets au bout de l’épingle. Donc ça contribue à les détériorer. Mais comme ils touchent plus les petites coupures, ce sont ces billets qui sont les plus maltraités.

On constate également qu’il y a des gens qui achètent les billets détériorés et qui les revendent. Que pensez-vous du commerce autour de ces vieux billets ?

On ne devait pas arriver à cette situation parce que la BCEAO et les autorités monétaires sont là. Leur rôle, c’est de disponibiliser les valeurs monétaires pour que tous les individus puissent y avoir accès et utilisent ça pour les transactions. Mais malheureusement, ces derniers temps, on constate un problème qui n’est pas à négliger. Les petites coupures sont un peu en manque dans le circuit économique. Dans le guichet bancaire, la question revient, il n’y a pas de petites coupures. Du coup, des opportunistes se sont saisis de cette occasion pour se faire un peu d’argent. Mais il faut noter que c’est illégal. C’est illégal parce que ce n’est pas une activité qu’on doit mener. Ce n’est pas une activité qu’il faut encourager. On va peut-être demander à nos concitoyens qui s’attachent à cette activité de ne pas le faire parce que c’est illégal.

Est-ce qu’il existe une loi qui sanctionne le commerce des billets usagés ?

Oui, effectivement, il y a une loi qui sanctionne le commerce des billets usagés. Il s’agit de la loi uniforme de l’UEMOA relative à la répression du faux monnayage et des autres atteintes aux signes monétaires dans les Etats même de l’UEMOA. Dans cette loi, à son article 16, il est dit: « la perception d’une commission en contrepartie de la remise de signes monétaires émis par la BCEAO contre d’autres signes monétaires de son émission est punie d’un emprisonnement d’un an à trois ans et d’une amende d’un million de francs CFA à trois millions de francs CFA ».

Tout individu qui, en échange d’une monnaie de la BCEAO, contre une autre monnaie de la BCEAO, prend des commissions, tombe sous le coup de cette loi. Donc c’est valable pour les billets détruits. Il y a un autre commerce qui existe, c’est le commerce de la monnaie.

Donc cette loi punit également ce commerce de la monnaie. Bon, j’ai un billet de 10 000, je veux des pièces. La personne te fait l’échange contre une commission. Cette loi punit cette activité aussi. J’ai des petites coupures qui sont détériorées, soit déchirées ou froissées. Je les échange contre de nouveaux billets. Et celui qui mène cette activité prend une commission. Ça aussi, c’est interdit. Donc la loi uniforme condamne ces deux activités autour de la monnaie.

La détérioration de billets de banque est interdite

Pour ceux qui maltraitent, les billets de banque, est-ce qu’à ce niveau, il y a une loi qui sanctionne ?

Oui, la même loi sanctionne aussi la mauvaise utilisation des valeurs monétaires de la BCEAO. Ça, c’est à son article 14. Je cite : « La détérioration, l’immaculé ou la surcharge délibérée d’un signe monétaire est punie d’un emprisonnement d’un mois à six mois et d’une amende de 50 000 francs CFA à un million de francs CFA lorsqu’elle a pour effet de le rendre impropre à un usage en tant que moyen de paiement ».

Ça veut dire que je détiens un billet de banque. Si je l’utilise mal, de sorte que le billet soit détérioré et ne soit plus utilisable comme moyen de paiement, je tombe sous le coup de cette sanction : par exemple, ceux qui brûlent les billets de banque ou qui les déchirent. On voit souvent sur les réseaux sociaux des gens qui se mettent à déchirer des billets de banque. Tout ça, c’est interdit et on tombe sous le coup de la loi.

La mauvaise utilisation des billets de banque est punie par la loi. Photo: Studio Yafa, Août 2025

Monsieur Zamda, quels autres circuits pour échanger les billets de banque usagés ?

Pour cela, je sais que la BCEAO a pris des mesures. Les grandes surfaces acceptent ces billets, même s’ils sont usagés, notamment les stations-services, les grandes alimentations. Elles font régulièrement le reversement de la recette en banque. Il y a aussi les guichets des banques et des microfinances qui les acceptent sans problème. La BCEAO a ouvert un guichet spécial. Je pense que dans tous les États, même de l’UEMOA, il y a un guichet dédié aux échanges des billets détériorés. C’est même à ce lieu qu’il est précisé que même si on ne détient que les deux tiers du billet, on peut l’échanger.

Pourquoi les deux tiers ?

Parce que les plus malins vont prendre un billet et le couper en deux et aller échanger chaque côté et se retrouver avec le double de la monnaie. Voilà pourquoi il est demandé qu’on ait au moins les deux tiers. Donc à ce guichet, n’importe qui peut se lever et aller dans une agence de la BCEAO, faire l’échange de ces billets. Donc, c’est pour dire qu’on n’a pas de raison de refuser des billets sous prétexte que c’est vieux, un peu déchiré.

Non, il y a des moyens et des mécanismes mis en place pour nous permettre à nous, citoyens, de pouvoir échanger ces billets lorsqu’on pense qu’ils sont fatigués. Il faut noter aussi que c’est dû au fait que le niveau de bancarisation est faible. Sinon, dans nos banques, ils ont des services de tri. À chaque fois qu’ils encaissent le versement des clients, ça passe au service de tri et on fait le tri. Les billets qui sont trop fatigués, on les reverse à la BCEAO. Les billets qui sont toujours en état, on les remet dans le circuit économique. Donc si nous, on utilisait beaucoup plus les banques, on allait se retrouver avec peu de billets détériorés dans le circuit économique.

« On doit accepter le billet tant qu’on arrive à percevoir un numéro de série »

À quel moment un billet de banque est-il valable ou pas ?

Un billet de banque reste valable lorsqu’il porte les signes de sécurité de la BCEAO.

Quels sont ces signes-là ?

Sur les billets, si on peut lire le numéro de série, ne serait-ce que d’un côté, la valeur monétaire et que les ancres de sécurité que la BCEAO met lors de l’émission des billets, si tous ces signes existent, le billet est valable. Lorsque ce n’est pas un faux billet et tant qu’on arrive à percevoir un numéro de série et la valeur monétaire, le billet reste valable dans le circuit économique.

Quand les billets de banque sont jugés trop usés, certains préfèrent les revendre. Photo: Studio Yafa, Août 2025.

Est-ce que, si d’un côté, le numéro de série n’apparaît pas, est-ce que le billet est consommable ?

Le billet est consommable puisque le billet peut être déchiré, coupé en deux. Dès qu’on détient les deux tiers du billet, ce billet peut être utilisé dans le circuit économique. Maintenant, par prudence ou par peur, nos agents économiques refusent ces billets. Même s’ils sont déchirés un tout petit peu à l’angle au niveau du numéro de série. Il faut dire qu’on peut leur donner raison, mais cela n’est pas tolérable.

On doit accepter le billet tant qu’on arrive à percevoir un numéro de série. C’est le numéro de série, c’est ce qui permet de tracer le billet. Et tant que le billet n’est pas un faux billet au départ, qu’il soit froissé, qu’il soit légèrement taché, si on arrive à percevoir ces aspects-là, le billet reste valable.

Quels conseils donneriez-vous pour bien sécuriser les billets et pour éviter qu’ils ne se détruisent pas ?

D’accord, la première des choses, il est plus simple, d’ailleurs, et plus sécurisé d’avoir un porte-monnaie. Les billets froissés, attachés au bout du pagne, comme on l’a connu, c’est bien, c’est sécurisé, mais ça contribue à les détruire. Un porte-monnaie où on place le billet, même si le porte-monnaie se replie, ça plie le billet en deux. Cela fait qu’il y a peu de frottement avec le billet, et le billet va rester. Il ne sera pas en contact avec l’extérieur et tout, et ça va lui permettre de durer. Il ne faut pas oublier que c’est du papier. L’humidité va contribuer à gâter, et on sait que nous-mêmes, avec la transpiration, tenir ça à la main, ça va contribuer à mouiller. Et déposer sur des supports qui sont mouillés aussi, ça va contribuer à détruire le billet.

Entretien réalisé par Boukari Ouédraogo