Burkina Faso : l’avortement clandestin, une pratique qui résiste à l’interdit
Femmes dans un centre de santé africain, photo d'illustration, © Iwaria.

Burkina Faso : l’avortement clandestin, une pratique qui résiste à l’interdit

Au Burkina Faso, 866 avortements clandestins ont été enregistrés en 2023 pour 33 décès, selon l’annuaire statistique du ministère en charge de la santé. La tranche d’âge la plus touchée se situe entre 15 et 49 ans. Malgré l’interdiction par la loi et les multiples initiatives de sensibilisation, la pratique continue de faire des victimes.

Assise dans un débit de boisson de Ouagadougou par une nuit de juin 2024, Monique (nom d’emprunt) cache difficilement son désarroi derrière un foulard noir. La jeune fille de 19 ans, enceinte de plus de deux mois, raconte les débuts d’un parcours douloureux. « C’était lors d’une soirée et c’est arrivé. Quelques temps plus tard, j’ai constaté que je suis enceinte donc, je lui ai fait part de cela. Il m’a dit, qu’est-ce qu’on va faire ? », raconte Monique, toujours marquée.

Abandonnée par le père qui refuse la paternité, Monique a tenté d’interrompre sa grossesse avec des produits achetés en secret, mais sans succès. « J’ai voulu faire l’avortement médicamenteux mais ça n’a pas marché. Je suis allée jusqu’à faire l’avortement traditionnel aussi. Donc, au finish, rien n’a marché et j’ai décidé de garder la grossesse », poursuit la jeune fille. Elle était déterminée à faire partir cette grossesse qu’elle n’a pas souhaité à un si jeune âge. Mais, après plusieurs tentatives ratées, ses camarades la mettent en garde. « Avec les conseils des gens, ils ont dit que je mets ma vie en danger. Si je continue ainsi, je risque de perdre la vie », dit-elle.

Un risque pris du fait de l’abandon

Contrairement à Monique, Malika, élève de 17 ans, a réussi à interrompre une grossesse non désirée. Comme c’est souvent le cas, son petit ami s’est dit incapable d’assumer un enfant. A son âge, elle ne se voyait pas devenir mère et célibataire. La jeune fille confie avoir eu recours à un tradi-praticien dans un quartier non loti de la capitale.

D’un geste mal assuré, elle explique le processus. « Si c’est un ou deux mois de grossesse, c’est le médicament seulement qu’il te donne et tu mets sous la langue puis ça va fondre et tu avales », détaille la jeune fille. Mais, elle avait une grossesse de quatre mois. En pareille situation, le processus est différent. Les risques aussi. Désespérée, Malika a pris le risque de « enlever » la grossesse.

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L’adolescente se souvient encore de ces moments qu’elle souhaite à tout prix oublier. « Il va porter ses gants, prendre le médicament qu’il met dans le vagin pour ouvrir le col. Quand il ouvre, il y aura quelques gouttes de sang mais ça ne va pas couler directement », poursuit-elle tout en regrettant d’en être arrivé à ce point.

Malika assure n’avoir ressentir aucune douleur. Seulement un produit qu’elle a avalé et pour expulser l’avorton. Pour comprendre, nous tentons d’entrer en contact téléphonique avec le dit tradi-praticien. Mais nos tentatives pour le rencontrer sont restées vaines. Au téléphone, il explique les conditions pour bénéficier de ses services qui varient en fonction du nombre de mois de grossesse et la bourse.

Des cas qui tournent au drame

Ce type de pratique, effectuée dans des conditions précaires, met en danger la vie des jeunes filles. Le cas de Monique est loin d’être un cas isolé. La gynécologue obstétricienne Lydie Ouédraogo se souvient d’un drame survenu dans son service. « Quand elle est arrivée, ce qui était au premier plan, c’était la douleur. Elle criait, elle avait extrêmement mal. Son ventre, on ne pouvait pas le toucher. Tout le ventre était comme en feu donc elle a hurlé comme ça jusqu’à s’éteindre », se souvient toujours amer Lydie Ouédraogo.

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Selon la Fondation Médecins du monde (2023), toutes les neuf minutes, une femme meurt des suites d’un avortement clandestin, soit près de 47 000 décès par an dans le monde. Au Burkina, les méthodes employées restent souvent secrètes. La jeune fille refuse la plupart du temps de s’ouvrir, d’admettre qu’elles ont pratiqué un avortement.

Alors, du haut de son expérience, l’experte Ouédraogo procède par divination pour prendre en charge certains cas. Elles utilisent des méthodes dangereuses pour se débarrasser de leur grossesse. « Généralement, ce qu’elles utilisent, ce sont des tisanes, ce sont des comprimés. C’est parfois des médicaments qu’elles introduisent dans le vagin. Et il y a celles qui introduisent des objets tranchants », assure la gynécologue.

Que dit la loi ?

La loi burkinabè n’interdit pas totalement l’interruption volontaire de grossesse, mais encadre strictement son recours. Elle autorise l’avortement pour des pour des raisons thérapeutiques, en cas de malformation grave du fœtus et dans les situations de grossesses issues de viol ou de l’inceste selon le procureur près le Tribunal de grandes instances de Diébougou, Idrissa Sebgo. « Cette interruption doit intervenir dans les 14 premières semaines », précise Idrissa Sebgo. En plus, il faut prouver la matérialité de la détresse de la victime du viol ou de l’inceste.

En novembre 2024, la police a démantelé un réseau international de vente en ligne de produits d’avortement, impliquant des agents de santé, des transporteurs et des distributeurs. Le code pénal (article 513-10) prévoit une peine d’un à cinq ans de prison et une amende de 1 à 3 millions de francs CFA pour toute personne qui procure ou tente de procurer un avortement, avec ou sans le consentement de la femme enceinte.

Faisall Ouédraogo

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