Loukman, un “bac+11” devenu phénomène de l’humour burkinabè
Loukman est devenu en quelques temps, une voix qui compte sur la scène humoristique nationale, Ph : Studio Yafa

Loukman, un “bac+11” devenu phénomène de l’humour burkinabè

L’homme dit avoir un bac+11. Diplômé, mais paumé, il n’a aucun égard de la part des jeunes de son quartier qui lui manquent de respect, l’humilient. Bienvenue dans le monde de Loukman. Humoriste et web-comédien, il gravit des échelons dans le domaine. Lui qui, en 2017, s’était juste inscrit à un camp vacances d’humour pour occuper ses vacances, est devenu une bête de scène qui draine des millions de vues sur les réseaux sociaux et des milliers de spectateurs lors de ses spectacles. Il se dessine un monde, il croit au processus et il voit un peu.

Tanghin, un quartier de la ville de Ouagadougou. Un professeur de maison prend contact avec le père d’une élève qu’il est censé encadrer. Mais la prise de contact vire au calvaire pour lui. L’élève semble plus douée en mathématiques et en anglais que le répétiteur.

Loukman est déterminé à aller plus loin, Ph : Studio Yafa

Il ne convainc pas le père de l’élève, qui elle-même est sceptique sur les capacités de son répétiteur. Il balbutie, se fait recadrer, le tout dans une atmosphère comique. Nous sommes en plein tournage de Loukman avec son équipe. Il joue le rôle de professeur dans cette série qui sera diffusée sur les réseaux.

Une fois que les acteurs ont pris connaissance du scénario, Loukman donne des instructions sur l’attitude à avoir, sur comment parler et bien d’autres détails. « On recherchait un cadre pour le tournage. On ne regarde pas la distance. En fonction du scénario, je recherche le lieu du tournage », explique-t-il entre deux séquences. Ici à Tanghin, il est bien loin de son quartier général, Karpala.

Les premiers lauriers

Depuis quelques années, c’est le quotidien de Loukman Koanda. Quand il n’écrit pas des scénarios, il est en plein montage après les tournages. Pourtant, il ne s’imaginait pas ce scénario. « Je ne me voyais pas faire de l’humour comme métier, même si j’aimais déjà égayer mes camarades à l’école. C’est en 2017, alors que j’étais en vacances, que j’ai vu une annonce sur un camp vacances d’humour de Jean Aimé Bayili connu sous le pseudonyme de Jhony Jhony, le leader du groupe humoristique Génération 2000. Je suis allé m’inscrire pour me divertir. Là, le virus de l’humour m’a véritablement piqué », raconte le jeune humoriste, qui poursuit des études de transport et logistique.

La passion découverte, Loukman ressent la nécessité de peaufiner son art. Alors, en 2019, il intègre le cercle des arts vivants d’un autre humoriste de renom, Gérard Ouédraogo. Les premiers lauriers arrivent en 2022 quand il est sacré meilleur humoriste émergent aux Ouistiti, le festival d’humour et de récompense des meilleurs humoristes.

Loukman jouant le rôle d’un professeur lors d’un tournage, Ph: Studio Yafa

« L’humour de scène est différent de la webcomédie. Je suis humoriste de scène à la base. Mais tout est devenu digital : pour se faire mieux découvrir, être plus proche des gens, il faut aller à la conquête du public sur les réseaux », poursuit Loukman.

Le 26 avril 2025, et ce pour la deuxième fois, il faisait son One-man-show intitulé Pourquoi pas.
Un spectacle salué par la critique et joué à guichet fermé. « C’était un défi personnel. Je suis en concurrence qu’avec moi-même. Je voulais repousser mes limites », dit-il, le visage lumineux.

Une équipe de jeunes passionnés

Dans ses vidéos publiées sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, il joue plusieurs rôles avec son équipe. Tantôt le Kôrô du quartier avec un bac+11 mais paumé, tantôt le moniteur d’autoécole qui recale les candidats à tout vent, ou encore le professeur.

Mais tout n’est pas que rire dans les contenus de Loukman. Il sensibilise, éduque, invite à la réflexion quand il parle de processus. « Le processus s’inscrit dans le concept “On se dessine un monde”. Le processus, c’est que chacun a sa propre définition du bonheur. Quand tu as une idée de ce qui fait ton bonheur, tu sais ce que tu recherches, tu te donnes les moyens pour y arriver. Ne pas regarder en arrière, ni à côté. Chacun a sa propre histoire. C’est ce que j’adore », poursuit-il d’une voix ferme.

Quand il prend des airs sérieux, ce sont ses collaborateurs qui le taquinent. C’est Patricia Kaboré, qui joue le rôle de l’élève qui parle parfaitement anglais. Une première pour cette jeune fille de jouer avec Loukman et son équipe. « J’ai aimé travailler avec lui », confie l’actrice, d’une voix calme. Contrairement à elle, Loukman travaille régulièrement avec ce qu’il appelle lui-même « le noyau ». Deux jeunes aussi passionnés que lui.

Lire aussi : Humour au Burkina, « On peut rire de tout mais on ne doit pas rire de tout »

« Nous tournons avec lui depuis longtemps. Après écriture du scénario, il nous le partage pour amendements avant le tournage. Il monte en grade, ça nous fait plaisir », commente Boukari Ouédraogo, alias Bouba le petit Mossi. Dans un ton humoristique mais sincère, il invite les entreprises à mieux valoriser le travail intellectuel fourni.

Seydou Simporé, alias le gifleur professionnel lors d’un tournage, Ph : Studio Yafa

Lui s’est fait connaitre comme celui qui envoie régulièrement des grosses claques au kôrô du quartier. Seydou Simporé, alias le Mouchetachute, est une connaissance depuis le cercle des arts vivants. « C’est un devancier de la scène », précise le « gifleur professionnel ». « Côté argent, il est vraiment réglo, je l’apprécie pour cela. Par contre, quand il y a une scène de nourriture pendant les scènes, il mange, nous laisser ». Une remarque qui déclenche une hilarité générale sur le plateau de tournage.

Exceller différemment

Ces dernières années, les humoristes ont pignon sur rue au Burkina. Alors, pour se démarquer, Loukman dit viser l’excellence. Ne pas dormir sur ses acquis et sa renommée.
La réflexion est permanente pour trouver des sujets originaux.  « Dans tout métier, l’énergie que tu y mets, il te renvoie cela. L’inspiration est divine. Il y a des choses qu’on ne peut expliquer. Mais le cerveau est comme un muscle, il faut le travailler. J’ai une routine d’écriture. Je n’attends plus l’inspiration, je pars la chercher ».

Il sait qu’il faut se réinventer sans cesse. Et sur ce chemin, il peut compter sur des devanciers comme El Présidente, qu’il décrit comme un aîné bienveillant et humble auprès de qui il a appris et continue d’apprendre et surtout qui lui permet de garder toujours les pieds sur terre.

L’humour nourrit son homme au Burkina, à condition. Grâce aux placements de produits, aux contrats d’ambassadeurs avec des entreprises, le jeune humoriste arrive à tirer ses marrons du feu. Mais il reste vigilant. « Il ne faut pas tuer l’artistique aussi. Si tout est pub, ce n’est pas intéressant. Les internautes vont se lasser, il faut alterner. Trouver le juste milieu. Il faut de l’intelligence, de la subtilité pour ne pas agacer le public », analyse-t-il.

Pour Loukman Koanda, l’humour est un art, un processus et un chemin de vie. Il ne se contente pas de faire rire, il se dessine un monde.

Tiga Cheick Sawadogo