Quitter un poste stable pour vendre du soumbala ? Il fallait oser. En 2014, Mandi Corinne Kaboré a troqué son bureau contre la chaleur du fumoir. À Koudougou, cette entrepreneure passionnée dirige aujourd’hui Kasima Transformation, une unité spécialisée dans les épices à base de produits locaux, de viandes et de mangues séchées, de vin de bissap et de vinaigre de mangue. Elle incarne la nouvelle génération de femmes qui font bouger l’agroalimentaire burkinabè.
Une petite fumée se dégage du fumoir installé dans un coin d’une vaste cour. Le doux parfum d’une viande se fait sentir quand, munie d’une fourchette, Mandi Corinne Kaboré retourne les morceaux. La boss de Kasima Transformation est elle-même au four cet après-midi. Du lundi au mercredi, les trois fours dont elle dispose servent à sécher de la viande de bœuf, de poulet, de pintade, de pigeon ou de lapin. En fonction des saisons, les autres jours sont consacrés au séchage d’autres produits, comme les mangues.

Il y a pourtant quelques années, Mandi Corinne Kaboré travaillait dans un bureau. Entre quatre murs, comme gestionnaire. Pendant ce temps, depuis la capitale, une dame lui envoyait des épices à revendre. « Je faisais le tour pour vendre. 500 F CFA l’unité et moi j’avais 100 F CFA », se rappelle-t-elle avec un brin de sourire. Puis un jour, elle décide de tourner la page du travail en entreprise pour vivre une nouvelle expérience. Les débuts n’ont pas été faciles, reconnaît-elle.
« Quand on m’a demandé ce que je voulais faire après avoir démissionné, j’ai répondu que je voulais faire du soumbala. C’était mal vu. Beaucoup ont critiqué. Je me voyais vraiment dans l’entrepreneuriat. Entreprendre permet d’être libre de son temps, d’innover. C’est quelque chose qui me tient à cœur. Avancer à mon rythme sans être dérangée », confie la patronne de Kasima Transformation avec conviction.
Des débuts timides
Dans cette période de doute et de jugement des autres, elle n’oublie pas que sa famille a été d’un grand soutien. Au bas de l’échelle, elle commence modestement : trois assiettées de graines de néré (matière première du soumbala), pendant qu’une amie fournit le bois de chauffe. Et l’aventure commence.
Quand la dame de Ouagadougou qui lui envoyait le bouillon décide d’arrêter la fabrication, Mandi Corinne Kaboré saisit l’occasion d’ajouter la production de bouillons à base de produits locaux à son activité. Malgré les méventes et les périodes de doute, elle choisit de continuer à croire en son rêve. « L’indépendance et l’autonomie ont un prix », se disait-elle pendant les moments difficiles.
« C’est en 2016 que j’ai commencé à fumer la viande, sur conseil de mon père. Cette même année, j’ai participé au SIAO. J’ai envoyé la viande séchée, et les gens ont aimé. Cela m’a donné un vrai coup d’élan », reconnaît l’ancienne gestionnaire.
Lire aussi : « Béni jus », les jus naturels qui ont conquis certains restaurants de Koudougou
Mandi Corinne Kaboré a toujours baigné dans un environnement d’entrepreneurs. Son père évolue dans le domaine du BTP, tandis que sa mère, Madelaine Kaboré, est couturière et présidente d’association. C’est donc avec une fierté légitime que cette dernière observe le parcours de sa fille. « Je suis fière d’elle. Au début, elle hésitait. Mais actuellement, elle a pris confiance, elle se bat, elle veut aller de l’avant. Elle a des commandes », dit-elle, admirative.

Chez Kasima Transformation, la rigueur et la solidarité sont au cœur du travail. « Nous arrivons à prendre en charge nos familles grâce à ce travail. Nous pouvons gérer nos difficultés. Elle est vraiment bien avec nous et très travailleuse », témoigne Dicko Kadidja, une employée chargée de la transformation de la farine de maïs.
Pendant ce temps, à la Direction régionale du commerce, Mandi Corinne Kaboré n’est pas une inconnue. Depuis 2019, Assanata Ouédraogo, responsable du service artisanat, collabore avec la cheffe d’entreprise. « Nous saluons son élan et son dynamisme dans le secteur. Elle a le sens de la créativité et celui de l’innovation. Son entreprise est formalisée et elle emploie beaucoup d’étudiants, surtout pendant la période des mangues », se réjouit la responsable de l’artisanat dans la région du Nando.
Aller plus loin
Elle-même consommatrice des produits de Kasima Transformation, notamment les viandes séchées, Assanata Ouédraogo souhaite la voir conquérir le marché international dans les prochaines années. Elle pourra toujours bénéficier de l’appui technique et des conseils de la direction régionale.
Même son de cloche chez Aristide Yaméogo, tenancier d’une boucherie et d’une épicerie. « Les gens apprécient vraiment ses épices. Qualité et hygiène sont au rendez-vous avec elle. Les produits sont bien scellés et les clients me font des retours réguliers », précise-t-il.

Malgré l’insécurité qui rend difficile l’écoulement des produits dans certaines localités du pays, Mandi Corinne Kaboré croit en un avenir radieux. D’ailleurs cette année, elle a ajouté une corde à son arc. Celle d’enseignante. Alors qu’elle était allée s’inscrire dans une école de cuisine, au regard de son expérience, le poste d’enseignante agroalimentaire lui a été proposé. Mais la priorité reste KASIMA Transformation. Elle se voit grandir davantage, donner plus d’emplois aux femmes et aux jeunes, et se tourner résolument vers le marché international.
Tiga Cheick Sawadogo
