A Ouagadougou, tapissiers, menuisiers, designers et sculpteurs débordent de créativité, mais peinent toujours à écouler leurs œuvres sur un marché saturé de meubles importés. Un paradoxe, alors que le Burkina a dépensé 12 milliards de F CFA en importations en 2021. Mais, le Président Capitaine Ibrahim Traoré annonce qu’à partir de 2026, les structures publiques n’achèteront plus de meubles importés. Une décision qui pourrait enfin changer la donne pour le made in Burkina.
L’étau qui fixe le bois, la scie qui découpe, le rabot qui râpe avec un bruit sec et froid. Les coups de marteau qui s’enchaînent pour donner forme à des objets… C’est la symphonie quotidienne qui accueille le visiteur chez Alexis, au quartier Wayalghin de Ouagadougou. Dans son atelier, chaque jour, l’artisan façonne des pièces uniques qui n’ont rien à envier aux meubles importés.

Alexis a appris ce métier sur le tas, dès son enfance. « J’étais en classe de CE1. J’ai appris le métier auprès d’un patron qu’on appelait Baba, juste à côté de mon école. Les jeudis soirs , les samedis soirs et les dimanches, j’y allais comme apprenti. On redressait les pointes, on apprenait à clouer, on se tapait les doigts souvent ! », raconte-t-il en riant, les yeux brillants de nostalgie.
Aujourd’hui, Alexis est fier de ses productions, souvent confondues avec celles venues de l’étranger. « Certains pensent que nous sommes des expatriés. Ils n’imaginent pas que des Burkinabè puissent atteindre cette qualité-là. On reçoit même des appels de l’extérieur de gens qui voient nos productions sur les réseaux sociaux », se réjouit-il.
A Karpala, une vitrine locale rivalise avec l’importé
Plus au sud de la ville, à Karpala, une boutique bordant le bitume expose fièrement salons feutrés, lits élégants, coiffeuses et fauteuils. L’esthétique interpelle. De quoi penser, de prime abord, à des meubles importés. Mais le propriétaire, Hamidou Kagoné, tapissier, rassure avec fierté, « c’est du made in Burkina ! ».
Pour le prouver, il nous conduit dans son atelier, dans une cour voisine. Les bruits du rabot et de la scie résonnent, tandis que des jeunes de 18 à 25 ans travaillent avec application. Une machine à coudre tourne sans répit, rythmée par la musique urbaine qui motive les ouvriers. « Tout ce que vous voyez ici est fait localement. Nous avons nos propres tissus, nos propres machines. L’une des machines a même été fabriquée sur mesure ici, à partir d’un dessin que j’ai imaginé », explique-t-il.

Hamidou déplore cependant la mauvaise qualité de certaines productions locales qui, selon lui, ternissent l’image du secteur tout entier. Pourtant, ses tarifs restent nettement plus compétitifs : « Un salon que d’autres vendent à 1 500 000 F CFA, on le propose ici à 750 000 ». Sa clientèle, il l’a bâtie par le bouche-à-oreille.
L’art de Kader, mieux prisé ailleurs qu’ici
Au centre-ville, au Mémorial Thomas Sankara, Abdoul Kader Kaboré, designer-sculpteur, nous reçoit dans une salle où une centaine de meubles attendent d’être livrés. Formé dans de grandes écoles, notamment en France, Kader a diversifié son expertise pour offrir un travail de haute qualité.

« Je fais l’ameublement, les meubles de rangement, les meubles de jardin, la décoration, les plans 3D, et je fais aussi de la sculpture. La base, c’est la sculpture. Ensuite j’ai fait l’école de design industriel à Paris pour développer mon travail », explique-t-il. Il est notamment l’auteur des chaises et tables du restaurant du mémorial, des œuvres mêlant fer, bois et couleurs du pays, agrémentées d’une touche de pagne lwili-péendé. Il travaille également sur l’ameublement de la plage artificielle de Samandéni.
Kader nourrit le rêve de créer un centre de formation destiné aux femmes. Mais il regrette que son art soit davantage apprécié au-delà des frontières. « À l’extérieur, les gens consomment nos meubles plus qu’ici. On est plus valorisé et plus sollicité ailleurs qu’ici », confie-t-il. Ses plus gros clients restent des expatriés, et il exporte davantage qu’il ne vend localement.
Le combat quotidien de Donald Kombasséré
Dans un petit atelier à Pissy, un autre quartier de la capitale, sous un soleil de plomb, trois jeunes s’activent autour d’une planche. Leur patron, Donald Kombasséré, tapissier depuis vingt ans, feuillette fièrement un album-photo montrant ses réalisations. Des salons modernes, des fauteuils design, des réfections haut de gamme… Pour lui aussi, le plus difficile est de rivaliser avec les meubles importés. Alexis, Hamidou et Kader partagent le même constat. Les Burkinabè préfèrent encore majoritairement l’importé, malgré la qualité notable du local.
« Nos meubles sont beaux et durables. Moi j’ai remplacé beaucoup de meubles importés chez des clients », souligne Hamidou.
En plus, les jeunes créateurs déplorent la difficulté d’accéder aux marchés publics. « L’État demande des garanties que nous, jeunes entreprises, n’avons pas », note Alexis. Hamidou de renchérir : « Même quand on a la chance d’avoir un marché, l’exécution est difficile faute de moyens financiers ».
Un coup de pouce présidentiel pour relancer le secteur
Lors de l’ouverture du 15ᵉ Forum national de la Recherche scientifique et de l’Innovation (FRSIT), le 22 octobre dernier, le président du Faso, le Capitaine Ibrahim Traoré, a annoncé l’interdiction pour les ministères d’acheter des meubles importés à partir de 2026. Une mesure accueillie avec enthousiasme par Alexis et ses camarades.

« Nous sommes prêts. Nous pouvons respecter certaines normes aujourd’hui », assure Alexis. Kader aussi salue cette décision qui, selon lui, « va beaucoup profiter aux producteurs locaux ». Pour ces jeunes créateurs, cependant, un autre défi demeure. Le coût élevé des matériaux, souvent importés, qu’il s’agisse du bois, du cuir ou des tissus.
L’annonce gouvernementale ouvre une lueur d’espoir. Les ateliers fourmillent déjà d’ambition et d’envie d’être à la hauteur de cette confiance placée en eux.
Awa Mouniratou Tankoano et Toussaint Zongo ( Stagiaire)
