<strong>Université Norbert Zongo de Koudougou : le long chemin de croix pour s’offrir un plat</strong>

Université Norbert Zongo de Koudougou : le long chemin de croix pour s’offrir un plat

Tout un chemin de croix pour manger dans les restaurants universitaires de l’Université Norbert Zongo de Koudougou. En plus de passer plusieurs heures d’attentes dans de longues files sous le soleil, les étudiants doivent faire face à des bousculades pour accéder au réfectoire. Une fois le repas obtenu, pour ceux qui ont la chance, la qualité et la quantité sont remises en cause. Pourtant, ils disent n’avoir pas le choix.

De loin, l’image ressemble à un essaim d’abeilles. Des dizaines d’étudiants agroupés devant une cour dans un quartier de la ville de Koudougou. Une personne non avertie penserait à un incident dans ces lieux. Mais, les riverains semblent coutumiers de cette présence. Des jeunes attroupés devant une cour aux allures d’habitation sous un soleil cuisant faisant parfois de grands bruits comme s’ils se disputaient. Ce sont des étudiants de l’Université Norbert Zongo de Koudougou, alignés devant le restaurant universitaire. Il faut l’arrivée d’un véhicule pour ouvrir le passage.

Pourtant, rien n’indique que l’on est dans un restaurant. Il faut se faufiler, accompagné du délégué des étudiants, pour accéder à l’enceinte, sous le regard curieux de ces jeunes. Pas de salle d’attente. Aucune place assise encore moins d’ombre pour s’abriter du soleil grillant.

Mais, ces étudiants visiblement pressés discutent entre eux en attendant leur tour au milieu de cet attroupement. Quelques fois, des étudiants lancent des mises en garde quant aux supposés malins qui voudraient forcer le rang. Un à un, les étudiants passent devant une grille métallique qui sert justement à filtrer les entrées. « C’est récemment qu’on a mis cette grille pour éviter les embouteillages à l’entrée du réfectoire. C’est après le décès d’un camarade », explique Abdoul Aziz Sanogo, le guide du jour.

Les rangs d’opposition

Il faut remonter à quelques semaines auparavant pour comprendre. Le 18 mai 2022, un étudiant décède suite à une bousculade dans ce même restaurant universitaire. Selon Abdoul Aziz Zongo, il tentait de se soustraire d’un rang d’opposition » qui l’avait coincé à l’entrée. « Le rang d’opposition », dans le jargon, désigne des étudiants, arrivés en retard, qui refusent de s’aligner à la queue d’un rang et forcent pour accéder au réfectoire.

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Dans le rang, Danvié Boulebaté étudiant en mathématiques et physique chimie, vêtu d’une chemise légère et d’un pantalon en pagne,  attend son tour depuis 9h alors que l’ouverture du restaurant est prévue pour 10h. Mais, il n’est pas premier arrivé car, seuls les premiers sont sûrs d’être servis. Il est 12 heures passées.  Il attend toujours, sans se décourager mais agacé tout de même. Lorsqu’il se soustrait du rang, un avertissement tombe : « si ton tour passe, tu reprends le rang derrière hein» Il montre un bout de papier sur lequel est écrit 319. « Celui qui est devant moi a le numéro 318. Donc, personne ne peut s’aligner devant moi », explique-t-il. Cette numérotation est l’une des innovations pour éviter les « rangs d’opposition ».

Boycotter des cours pour manger

L’insuffisance des plats servis explique les bousculades dans ce restaurant selon Abdoul Aziz Zongo, délégué des étudiants et membre du conseil d’administration de l’Université Norbert Zongo. Pour un effectif de 71 mille étudiants, le nombre de plats servis dans les cinq restaurants universitaires est de 8 mille selon ses explications. Dans un tel contexte, tous les étudiants ne peuvent pas prétendre à manger.  « Les plats servis, ne sont pas suffisants. Quand tu finis ton cours et que tu viens à 17h, tu risques de ne rien trouver. Tu es obligé de sécher les cours pour venir t’aligner et avoir à manger »,  regrette Brahima Traoré avec son numéro 372 en main.

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Mais, il s’y est fait depuis trois ans qu’il est là. « C’est devenu pour nous une habitude. Parce que chaque jour, on est là. On parle mais on ne nous écoute pas. Imaginez quelqu’un qui est sous ce soleil depuis 9h, arrêté sur pieds. Si tu as cours à 7 heures, c’est que tu vas rater ton cours ». En effet, plusieurs étudiants préfèrent manquer les cours pour se procurer un plat. Ils pourront se rattraper en photocopiant les cours avec leurs camarades. Les filles par contre se font rares. « C’est le combat », comme aiment le dire les étudiants.

« Les filles sont nombreuses à l’université mais si elles ne viennent pas au RU, c’est parce que c’est le combat. Le peu de filles qu’on voit, c’est parce qu’elles n’ont véritablement pas les moyens », insiste Abdoul Aziz Zongo, représentant des étudiants au conseil d’administration de l’université de Koudougou. Néanmoins, nous retrouvons Dylène Nyampa  assise à l’écart, tenant un plat, dans lequel elle emportera son repas. « On ne te fait pas de faveur parce que tu es une femme. Tu prends le ticket et tu t’alignes comme les autres. Mais si tu ne peux pas suivre le rang sous le soleil, tu te mets de côté et tu attends ton tour », raconte la jeune fille, même si l’attente est longue. Pourtant, elle a cours dans la soirée et pourrait y aller en retard.

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Une fois dans le réfectoire, une odeur humide de plusieurs mets mélangés se dégage. Celle de la sauce arachide est plus forte. La chaleur est aussi forte malgré les brasseurs qui tournoient au-dessus des têtes. Sur un étal, des femmes, une dizaine de marmites posées servent les étudiants. En l’absence de la patronne, personne ne veut s’exprimer. Du spaghetti est servi pour ceux de la chaine A et du riz à la sauce arachide pour ceux qui ont emprunté la chaine B.

Des plats subventionnés

Chaque plat est accompagné d’un morceau de pain. Si les plats semblent appétissants, ce n’est pas l’avis des étudiants. « On sort toutes sortes de choses dans la nourriture. On m’a déjà servi du poisson pourri », regrette Ibrahim Traoré. Pour Souleymane Sawadogo qui a fini de déguster son plat de riz, le menu manque de variétés : « Avant, il y avait placali (to de manioc), hamburger, soupe de poisson, soupe de viande. Ils ont supprimé tout ça. Le drame qui s’est passé, c’est parce qu’il n’y avait pas assez de plats que les gens se sont bousculés ».

Un mets au restaurant universitaire coûte 100 francs CFA à l’étudiant. Impossible de trouver mieux ailleurs. Le plat est subventionné à hauteur de 500 francs CFA par le gouvernement burkinabè. « Si on nous remettait ces 500 francs, avec 600 francs CFA, on mangerait mieux hors du campus », assure Danvié.

Pour ces étudiants, les conditions de restauration sont désastreuses et ne permettent pas aux étudiants, sans ressources financières conséquentes, de mener leurs études dans de bonnes conditions. « Pour éviter un nouveau drame. La solution, c’est d’augmenter le nombre de plats servis dans les restaurants mais aussi d’installer des restaurants dans d’autres quartiers pour éviter que les étudiants se rabattent au même endroit », plaide Abdoulaye Sanogo, étudiant en mathématiques et physique chimie. Selon Abdoul Aziz Zongo, l’administration universitaire est au courant du problème. Mais, ne l’a jamais pris à bras-le-corps. Car le nombre d’étudiants augmente mais celui des plats servis ne suit pas cette augmentation.

Boukari OUEDRAOGO