Burkina: La noix d’acajou rongée par l’insécurité©Studio Yafa
Une noix d'acajou mûre

Burkina: La noix d’acajou rongée par l’insécurité

Dans la région des Cascades, extrême ouest du Burkina, cette une année s’annonçait particulièrement fructueuse pour les producteurs d’anacarde. Tous s’accordent à dire que les plantations portaient beaucoup d’espoir. Malheureusement, dans certaines zones, les noix pourrissent dans les champs. Les hommes armés règnent en maîtres absolus dans ces forêts. Entre colère et impuissance, les producteurs qui ont dû fuir, se tournent les pouces loin de leurs terres.

Siniéna, 12 km de Banfora, région des Cascades. Nous sommes dans l’extrême Ouest du Burkina. Dans sa plantation d’anacarde, Youmatié Soulama, l’allure svelte, inspecte presque tout. Les anacardiers, les fleurs, les fruits. Il se saisit souvent d’une noix d’acajou déjà tombée, sépare la pulpe de la noix qu’il dépose au pied de l’arbre.

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C’est un champ de 6 hectares,  parfumé aux essences d’acajou à maturité. Nous sommes bel et bien en période faste et le visage de Youmatié traduit une satisfaction. « Cette année, ça a bien donné », admet celui qui est vice-président national des producteurs d’anacarde, et secrétaire régional des producteurs du même fruit. Une chance pour lui. Son champ n’est pas loin de Banfora, capitale de la région des Cascades. En plus, Siniéna est sûre, il s’y rend quand il veut et comme il l’entend.

Youmatié Soulama dans sa plantation

« Je m’estime chanceux. L’insécurité impacte beaucoup le secteur de l’anacarde. Beaucoup de personnes ne peuvent plus récolter. Les gens ont peur de rentrer dans leur champ. Je connais beaucoup de producteurs qui ont des champs qu’ils ont laissés pour se retrouver à Banfora. Certaines coopératives sont dans le désarroi. C’est très difficile pour eux », explique avec un brin de tristesse le vice-président national de ce troisième produit agricole d’exportation du pays, après le sésame et le coton.

Les viviers de l’anacarde inaccessibles

Simple coïncidence ou pas, les grandes zones de production de l’anacarde dans la région des Cascades sont presque toutes inaccessibles à cause des menaces des groupes armés. Oumar Soura , président provincial des producteurs d’anacarde de la Comoé connaît bien la filière dans laquelle il travaille depuis 1999.

C’est avec peine qu’il explique le contraste qui existe entre la bonne production qui était attendue cette année et l’inaccessibilité des grandes zones de l’anacarde de la région. « Des zones comme Niangoloko, Binkono, Tchimi, Sidéradougou, Mangodara, Ouo sont gravement touchées par l’insécurité, on ne peut pas s’y rendre. Pourtant, ce sont les grands producteurs d’anacarde de la région. L’insécurité est un danger pour l’anacarde », constate Oumar.

Une femme ramasse les noix

Assis devant sa boutique au grand marché de Banfora, le Président de l’association des commerçants d’anacarde des Cascades, Souleymane Sanogo, semble se tourner les pouces. Un coup d’œil dans sa boutique, on aperçoit des sacs remplis de noix acajous entassés. Lui qui avait prévu faire des bonnes affaires cette année, en vient à se mordre presque les doigts. L’anacarde a bel et bien produit, mais les grandes zones de production sont occupées par les groupes armés.

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Par contre, Souleymane explique que les convois sécurisés sont une solution partielle pour accéder à certaines zones, mais avec des risques de pertes. « Notre grande zone de production est Mangodara. Pour y aller de nos jours, ce n’est pas facile, il faut un cortège avec les Forces de défense et de sécurité. Le convoi peut faire 15 jours sur la route. Le dernier convoi a mis 18 jours. Les produits, d’ici leur venue le prix a chuté. C’est une perte.  En plus de cela, les conducteurs même ne veulent pas aller dans ces zones », explique le président de l’association des commerçants d’anacarde qui insiste pour dire que ça aurait été une année exceptionnelle pour tous les acteurs de la filière, si l’insécurité ne s’était pas invitée.

A cause de cette situation, pratiquement tous les grands producteurs d’anacarde de la région sont devenus des déplacés internes, nous souffle Youmatié Soulama, vice-président national des acteurs de la filière.

Amertume d’un producteur déplacé

Sous un arbre en face du siège d’un projet de soutien aux acteurs de l’anacarde, le vieux Fadouba Ouattara devise sous un arbre. Originaire des environs de Mangodara, il a fui avec sa famille pour se réfugier à Banfora à cause de la pression des groupes armés. Pour ce propriétaire de 15 hectares d’anacarde la vie a changé du jour au lendemain. Lui qui brassait les millions à chaque période de récolte, cette année c’est avec amertume qu’il regarde certains de ses camarades qui ont encore leurs plantations qu’ils peuvent exploiter.

Alors quand on lui demande s’il lui arrive de penser à ses plantations en cette période de récolte, il s’écrie: « Hé quelle question ! bien sûr que j’y pense. Est-ce que quelqu’un peut oublier son lieu de travail ? J’y pense à chaque fois. Je n’ai juste pas les moyens d’y accéder sinon dire que je n’y pense pas c’est mentir. En plus, il m’est parvenu que l’anacarde a bien donné cette année mais malheureusement on n’ y peut rien« , soupire le vieux producteur, maintenant déplacé.

Les acteurs de la filière espèrent en chœur le retour de la quiétude d’ici l’année prochaine, doublé d’une bonne campagne.

Tiga Cheick Sawadogo