A Ouaga, Bouzout Yaar ou le marché où tout est viande, des pattes aux peaux
Bouzout Yaar est un comptoir régional de vente des sous-produits de viande, Ph: Studio Yafa

A Ouaga, Bouzout Yaar ou le marché où tout est viande, des pattes aux peaux

Ouagadougou abrite une sorte de comptoirs sous-régional de sous-produits de viande. Des pattes, des têtes, des peaux, des queues de bœufs et des têtes de petits ruminants sont vendues à Bouzout Yaar (marché de têtes de chèvres, en langue mooré). A Sanyiri, un quartier de la capitale, le marché est un petit monde à part. C’est là que des acheteurs internationaux s’approvisionnent pour alimenter les marchés du Togo, du Bénin, du Ghana, de la Côte d’Ivoire, du Nigéria… Mais la crise sécuritaire a occasionné la rareté de la matière première.

L’espace est noir et surtout enveloppé d’une fumée qui se dégage à plusieurs endroits. Sur les grillages posés sur des foyers ou les tables dressées à côté des hangars de fortune, on peut voir des têtes et des pattes de bœufs, de moutons et de chèvres. Assis à côté de foyers de fortune, des jeunes, à l’aide de petits couteaux ou de rasoirs, débarrassent les peaux et têtes des derniers poils qui ont résisté au feu. Bienvenue à Bouzout Yaar (marché de têtes de chèvres, en langue mooré).

Une vue de bouzout yaar, Ph : Studio Yafa

Depuis une vingtaine d’années, les acteurs du marché sont installés là. « Nous étions à Zangointin. Mais le quartier a été déplacé à cause du projet ZACA (Zone d’activités commerciale et administrative). On nous a réinstallés à Kalgodin. De là, on dit encore de bouger et c’est ainsi que nous sommes arrivés ici », retrace un ancien de Bouzout Yaar.

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Le jeune Ibrahim Zongo travaille à Bouzout Yaar depuis 6 ans. Pour ce boucher, c’est un héritage perpétué. « Mon père faisait ce travail-là. Il m’a initié. Je ne peux pas me permettre de rester à la maison parce que je n’aime pas la fumée », dit-il en retournant des têtes et pattes d’animaux sur une grillade en tôle noircie par la fumée. « Les têtes et queues de bœufs, les pattes et têtes de moutons et de chèvres viennent des abattoirs. On met au feu pour brûler. La queue, par exemple, on rase avec des rasoirs. C’est pareil pour les têtes », ajoute-t-il.

Et Boukari Kabré, président du comité de gestion du marché, de préciser que les grands clients du marché sont des pays voisins. Surtout en ce qui concerne les peaux de bœufs.  « Ils sont là au marché, les acheteurs du Ghana, de la Côte d’Ivoire, du Bénin, du Nigeria… Les têtes sont consommées sur place à Ouaga » explique Boukari.

Un carrefour sous régional

Depuis 15 ans, Moubarakat Adokou fréquente le marché de Bouzout Yaar. La Béninoise y vient régulièrement pour acheter les peaux de bœufs. Au commencement de ce business-héritage, c’était sa mère : « Avant, c’est ma maman qui venait acheter du bazin, du bissap surtout à Bobo. Entre temps, elle a flairé le business. Chez nous, c’est surtout le poisson qui est consommé. C’est ainsi qu’elle a commencé à acheter ».

Ibrahim Zongo travaille à Bouzout Yaar depuis 6 ans, Ph : Studio Yafa

Entre temps, Moubarakat Adokou a pris le relais. Et il lui arrive de passer plusieurs mois à Ouagadougou, le temps de faire le maximum de stocks. Déjà un mois qu’elle est sur place, à acheter des peaux qu’elle fait bruler avant de conditionner. En attendant le grand départ.

Par contre, il n’y a pas que des acheteurs internationaux à Bouzout yaar. Les produits du marché sont aussi consommés localement. Ce matin-là justement, Ami Ouédraogo est venue acheter des têtes de petits ruminants. Depuis 15 ans aussi, elle fréquente l’endroit. « Je fais la soupe de tête. Avant, c’était bénéfique, mais actuellement ça ne donne plus comme avant », se plaint la restauratrice.

L’écho des bruits de canon ressenti à Bouzout Yaar

Selon les habitués, Bouzout Yaar ne grouille plus de monde comme avant. La crise sécuritaire a un impact sur les activités des bouchers et des acheteurs. Les grandes zones d’élevage sont inaccessibles à cause de l’insécurité. « Actuellement, c’est devenu difficile », soupire Boukari Kabré. Il explique qu’avant, il achetait une tête de bœuf entre 30 000 et 35 000 F CFA. « Actuellement, il faut débourser entre 45 000 à 50 000 F CFA. Les clients n’arrivent plus à acheter. On ne peut plus partir en brousse. La solution est d’élever en ville en attendant que la situation revienne à la normale », propose-t-il.

L’onde de choc est aussi ressentie chez les acheteurs. La commerçante béninoise fait grise mine. La situation est tellement critique que, d’une vingtaine de Béninoises à Bouzout Yaar pour les opérations d’achat, il n’en reste que deux. « Actuellement, il n’y en a pas et c’est cher. Avant, on achetait les peaux de bœufs à 4000 ou 5000 F CFA. Mais à l’heure-là, c’est cher, c’est à partir de 10 000 F CFA », regrette Moubarakat Adokou. En plus de cela, les distances se sont rallongées. Elle doit traverser le Togo pour arriver au Bénin, toujours à cause de l’insécurité.

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Sa collègue burkinabè Ami Ouédraogo ne dira pas le contraire. Elle qui achetait la tête de petit ruminant à 2000 F CFA maximum en vient à débourser 3500, voire 5000 F CFA pour ne pas fermer son restaurant. Et avec les clients, ce sont des incompréhensions à n’en pas finir. « Tu coupes en 4 pour vendre. Les clients aussi se plaignent parce que c’est cher. Ils disent que c’est parce que ça s’achète qu’on augmente. Ces petites têtes achetées à 3 500, je vais couper en 4 et vendre le plat à 1 000 F CFA. Il n’y a rien en fait. C’est une souffrance pour rien », maugrée Ami, l’air impuissante.  

Tous les acteurs espèrent des jours meilleurs pour continuer à fructifier leurs affaires. Selon l’un des anciens du site, ce sont plus de 200 personnes qui travaillent à Bouzout Yaar. L’un des défis de la coopérative mise en place pour la gestion du marché, c’est l’hygiène. Après avoir acheté un camion pour régulièrement débarrasser le marché de ses déchets, les usagers espèrent, avec l’aide des autorités, disposer d’un forage pour assurer la qualité des produits dans un environnement sain.

Tiga Cheick Sawadogo