Burkina Faso : à Karaba, la parenté à plaisanterie préserve la paix
Ses Peulhs et Bwaba en plein échange dans le village de Karaba. Photo: Studio Yafa

Burkina Faso : à Karaba, la parenté à plaisanterie préserve la paix

Dans le village de Karaba, dans la commune de Houndé, plus de 250 km de Ouagadougou, la cohésion sociale se cultive à travers la parenté à plaisanterie. Elle permet aux Peulh et Bwaba de rire de leurs différences et de désamorcer les conflits. Dans le village de Karaba, la parenté à plaisanterie a permis aux deux communautés d’éviter toute confrontation depuis des générations.

Un grand manguier, non loin des cases de la communauté peulh du village de Karaba, sert de lieu de rassemblement pour les habitants. Mais, ce n’est pas un rassemblement comme les autres. Des Peulhs et des Bwaba, deux communautés distinctes, partagent des moments de taquineries et de rires. La bonne humeur est au rendez-vous en cette journée comme les autres.

Jeanne, une femme bwaba, joue le rôle de traductrice pour l’équipe de reporters sur les lieux. Cependant, elle va au-delà de ce rôle en se transformant en véritable animatrice. « Vous les buveurs de lait là, où est mon lait ? », lance-t-elle avec humour. L’un d’eux répond : « Et toi alors, buveuse de dolo. Le dolo ne va pas avec le lait ». Tout le monde éclate de rire.

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Tiémoko Barry met tout en œuvre pour perpétuer la bonne entente dans le village de Karaba. Photo: Studio Yafa, juin 2025

C’est un jeu de parenté à plaisanterie entre Jeanne, de l’ethnie bwaba, et la communauté peulh. Cette parenté à plaisanterie est une alliance sociale qui unit les Bwaba et les Peulhs vivant ensemble à Karaba. Plus qu’un simple jeu, elle permet aux deux communautés de vivre ensemble dans la paix. Les Peulhs associent les Bwaba aux consommateurs de dolo, une bière traditionnelle, et donc à des fêtards ou des soulards. Quant aux Peulhs, ils sont considérés comme des buveurs de lait.

Une gestion efficace des conflits

À Karaba, la cohabitation entre Bwaba et Peulhs remonte à plusieurs générations.
« Nos grands-parents étaient déjà ici. Depuis toujours, nous vivons en parfaite cohésion. Nous participons aux cérémonies bwaba, et eux aux nôtres. Quand il y a une rencontre de village, nous sommes conviés tout comme eux », explique Tiémoko Barry, l’un des doyens de la communauté peulh. Ces propos illustrent la bonne entente entre les deux communautés.

Tout est mis en œuvre, selon Fankani Zomize pour assurer la cohésion sociale à Karaba. Photo Studio Yafa, juin 2025.

Il est difficile de dater avec exactitude la cohabitation entre les deux groupes. Mais Fankani Zomizi explique que ce peuplement est hérité de leurs grands-parents :
« Les Peulhs sont venus nous demander un terrain. Nos grands-parents ont accepté. Depuis, on vit ensemble », précise Fankani Zomizi.

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Grâce à la parenté à plaisanterie bien ancrée, les deux communautés ont pu jusque-là, éviter ou mieux gérer les conflits. Il arrive que des tensions surgissent, notamment autour de la question du pâturage. « Vous savez que les Bwaba sont des cultivateurs et les Peulhs des éleveurs. Il y a parfois des problèmes avec les troupeaux dans les champs, mais on trouve toujours un terrain d’entente », assure Fankani Zomizi, l’un des doyens de la communauté bwaba.

Une tradition perpétuée par les jeunes

Mais grâce à la parenté, les deux communautés ont pu éviter jusque-là toute forme de conflit. « Même s’il y a une querelle, la parenté à plaisanterie permet de vite désamorcer les tensions », ajoute Tiémoko Barry. La discussion glisse alors vers une nouvelle série de joutes verbales, toujours sous le signe de la plaisanterie.

Les jeunes contribuent à la cohésion sociale auprès des anciens. Photo Studio Yafa, juin 2025

Les jeunes de Karaba s’efforcent eux aussi de préserver cette entente. Selon Issoufou, un jeune Peulh, des activités communes comme les fêtes, des cérémonies ou corvées collectives sont organisées pour maintenir les liens. Issouf Diallo, jeune Peulh, en est un bel exemple. Il s’est marié à une jeune fille bwaba, malgré des coutumes et des traditions différentes.

Mais selon Issouf, aucun de leurs parents ne s’est opposé à cette union. Au contraire, ils ont reçu leur bénédiction. « Toi, tu as volé une Bwaba », lance toujours avec humour Jeanne. Dans la même lancée, Issouf réplique : « Si toi-même tu veux, je peux te prendre comme deuxième épouse ».

Boukari Ouédraogo