Bôbôssin, quartier de la ville de Ouahigouya dans le Nord du Burkina, est un exemple d’intégration aboutie. Le résultat d’une amitié qui naquit depuis plusieurs siècles entre Naba Kango, un ancien chef du Yatenga, et des peuples de l’empire Mandingue où il s’était replié pour se préparer à la reconquête de son pouvoir perdu. Quand il revient sur ses terres, il est accompagné de guerriers dogon, bwaba, bôbô… Le trône conquis, certains de ces combattants s’établirent définitivement dans le royaume du Yatenga, précisément dans un quartier près de la cour royale. Aujourd’hui, c’est un quartier coloré, riche de sa diversité.
Devant une grosse marmite, Saadjo Traoré munit d’une grosse louche s’affaire à préparer du riz gras. Dans la grande cour, l’ambiance est festive est celle d’un baptême. Un bébé vient agrandir la famille. Quand on lance des salutations en langue bamana à la cuisinière, c’est en mooré qu’elle répond. Surtout, avec l’accent typique des yaadssé. « Je suis né ici, j’ai grandi ici. Mon dioula n’est pas net », s’excuse Saadjo, avec un sourire, comme si elle se moquait de sa situation.

Elle s’empresse de dire qu’elle et toutes les personnes qui sont dans sa situation n’oublient pas pour autant leurs « racines ». Elles savent qu’elles viennent du Mali, depuis des temps immémoriaux. Et ils y retournent souvent. « Quand on va là-bas, on nous dit de venir nous installer définitive. Nous leur répondons que nous avons deux patries. C’est une chance », ajoute-t-elle, les yeux brillants.
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Le quartier Bôbôssin est ainsi. Un carrefour de cultures. Un lieu de communion des différences au contact avec d’autres peuples. Ce sont des peuples à l’origine san, bwaba, bella, dogon, peulh, bamana qui rencontrent les yaadcé. Rapide cours d’histoire, avec Alpha Maki Traoré. « Naba Kango a régné deux fois. La première fois, ses frères ont contesté, ils n’étaient pas contents et l’ont retiré le pouvoir. Il est allé vers Sikasso pour chercher le pouvoir (mystiques) et revenir conquérir son trône. Les guerriers qui l’ont accompagné étaient nos grands-pères. Il y avait des Bwaba, Sanou, Ouattara, Traoré, Sidibé, Diallo… », remonte le petit-fils de guerrier.
Le retour fut triomphal puisque Naba Kango reprit son pouvoir. Et les guerriers qui l’accompagnaient restèrent pour l’aider à construire son royaume. Un autre témoin de l’histoire ajoutera que les bôbô étant les plus nombreux à l’époque, le quartier a été désigné bôbôssin (chez les bôbô) en langue mooré.
Comme témoignage de la proximité des premiers habitants du quartier avec le pouvoir, bôbôssin est à proximité du palais royal. « N’importe qui n’est pas à côté de la famille royale », déclare avec fierté Alpha Maki qui raconte l’histoire du quartier avec enthousiasme et fierté.
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Comme Saadjo, le vieux Bougra Naba Koom, assis sous un hangar devant sa cour, le reconnaît la main sur le cœur. Il lui est impossible de tenir une conversation dans la langue de ses aïeux avec ses enfants. « Nous sommes devenus des Yaadcé. Mais nous savons qui nous sommes, quels sont nos interdits », résume le vieil homme. Selon lui, bôbôssin est comme une grande famille.

Les habitants partagent tous presque la même histoire à travers l’arrivée de leurs aïeux sur ces nouvelles terres. « Les origines ne sont pas pareilles, mais nous sommes devenus pareils », poursuit-il. Tous pareils, dans les bons comme dans les mauvais moments, insinue le Bougra Naba Koom.
S’enrichir des différences
A Ouahigouya, quand il s’agit de préparer du bon riz gras lors des grands événements heureux, l’adresse de Saadjo Traoré semble incontournable. Son expertise dans le domaine est connue et saluée par ceux qui ont eu recours à ses services. Selon elle, c’est un savoir-faire ancestral qu’elle essaie de perpétuer et de faire profiter à toutes les communautés, à défaut de parler sa langue d’origine.
« Les Yaadcé ont pris beaucoup de choses chez nous. Le Pougsuiré, le djandjoba, les uniformes », ajoute avec fierté Alpha Maki qui reconnaît que les anciens guerriers se sont également beaucoup enrichis de la culture de leur hôte.

Le vivre-ensemble entre les habitants de bôbôssin et les autres quartiers considérés comme autochtones est une réalité. « La cohabitation est parfaite », résume Baba Dramane Ouédraogo, qui vit dans un quartier voisin. Lui aussi fait la remarque que « c’est très compliqué de savoir que les gens ne sont pas de la même cour ». Même son de cloche entonné par Salif Ouédraogo de passage à bôbôssin. « Ce sont des frères et sœurs et il y a la solidarité », entonne le jeune homme.
Comme pour finir par convaincre de l’intégration parfaite des fils et filles des anciens guerriers de Naba Kango dans la vie du royaume, bôbôssin est présent dans la cour royale dans le cadre des activités. Il n’y a plus de conquête de trône à préparer, mais une cohésion sociale et une intégration à consolider.
Tiga Cheick Sawadogo