La 10ᵉ édition des Nuits internationales de la Parenté à Plaisanterie a débuté dans la soirée du 12 novembre 2025 à l’espace culturel Gambidi à Ouagadougou. Les organisateurs entendent réaffirmer la puissance des valeurs endogènes pour consolider le vivre-ensemble au Burkina Faso.
Initiées depuis 2008, « Les Nuits internationales de la parenté à plaisanterie » ont ouvert les portes de leur 10ᵉ édition à l’Espace culturel Gambidi de Ouagadougou. Ce rendez-vous, devenu au fil des années un espace de dialogue interculturel, entend rappeler la force des traditions orales africaines dans la consolidation de la paix sociale.
Pour marquer cette ouverture, les organisateurs ont choisi d’ancrer la réflexion autour d’un panel scientifique animé par le Pr Alain Joseph Sissao, chercheur à l’Institut des sciences des sociétés (INSS). Sa communication a porté sur le thème central des alliances et de la parenté à plaisanterie.
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Selon le Pr Sissao, l’alliance intervient lorsqu’il existe un lien entre deux ethnies, deux villages, deux régions ou deux patronymes. Elle constitue un pacte de non-agression assorti de règles d’assistance mutuelle dans les situations aussi bien difficiles qu’heureuses. La parenté à plaisanterie, elle, se manifeste par une mise en scène sociale où les échanges moqueurs entre deux groupes liés par un pacte ancestral visent à désamorcer les tensions et à renforcer la cohésion.
Cette pratique, issue souvent de mythes fondateurs, trouve ses origines dans d’anciens conflits réglés par des pactes de non-agression. L’exemple du village de Théma et de Boulsa, liés après un affrontement sanglant entre deux chefs, illustre bien cette logique de réconciliation par le verbe et le rire.
Mais, la parenté à plaisanterie n’est pas un jeu sans règles. Elle obéit à des codes sociaux précis, parmi lesquels trois interdits majeurs identifiés par le Pr Sissao. Ne pas verser le sang de son parent à plaisanterie. Ne pas se moquer des défauts physiques et ne pas insulter la mère du parent à plaisanterie. Ces règles agissent comme des garde-fous symboliques. Ils transforment la plaisanterie en outil de prévention et de réparation des conflits.
Des valeurs ancestrales pour répondre aux défis contemporains
Alors que le Burkina Faso traverse une période de fortes tensions sociales et sécuritaires, la question du vivre-ensemble se pose avec acuité. Le Pr Sissao estime que la réactivation de la parenté à plaisanterie représente une voie endogène pour reconstruire les liens communautaires.
Dans ce contexte, il s’agit, dit-il, de transmettre à la nouvelle génération les fondements de cette pratique. Une façon de souder les liens communautaires par la transmission générationnelle. Ce, à travers la littérature, les arts de la scène, le cinéma et les autres formes d’expression artistique.
Les arts, un puissant vecteur de médiation sociale
La culture, et plus particulièrement les arts, jouent ici un rôle crucial. Anatole Koama, président de l’Association Grâce Théâtre et membre de la Fédération du Cartel, en a fait une véritable mission. Avec le dramaturge Ildevert Méda, il est co-auteur de la série à succès Ma Ya Dawa. Elle met en scène un couple en apparence conflictuel. Mais leurs disputes sont un miroir des tensions sociales contemporaines.
Anatole Koama a également présenté son long métrage Gurunga, une marmite pour un projet, un film projeté pendant ces Nuits de la Parenté à plaisanterie. Par l’humour et l’autodérision, ce film propose une thérapie sociale à travers le rire, dans un Burkina Faso où les fractures sociales et identitaires nécessitent des ponts plus que des murs.
Le public, nombreux, est ressorti ému et édifié. Pour Linjecke Suzi Mounira, étudiante en droit au Centre de recherche panafricain en management pour le développement (CERPAMAD), cette soirée fut une révélation. « J’avoue que j’ai beaucoup appris. Je ne savais pas tout ce qui englobe la notion de parenté à plaisanterie. Les explications du Pr Sissao m’ont enrichie sur les interdits. Cette initiative est un tremplin de cohésion sociale et de renouement », confie-t-elle avec enthousiasme.
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De son côté, Claude Fafchamps, créateur artistique belge en visite, s’est dit impressionné. « En tant qu’observateur extérieur, je découvre une richesse relationnelle incroyable. C’est une gestion des relations sociales d’une grande finesse », témoigne-t-il.
Quant à Fatimata Kéré , administratrice culturelle, elle souligne l’apport pédagogique de l’événement. « J’avais lu des articles du Professeur sur le sujet, mais ce panel m’a permis de comprendre combien toutes les communautés du Burkina sont liées par des relations de parenté à plaisanterie », indique-t-elle.
À travers cette 10ᵉ édition, les Nuits internationales de la Parenté à plaisanterie confirment leur rôle de véritable laboratoire du vivre-ensemble. En conjuguant recherche académique, expression artistique et mémoire collective, l’événement démontre que les solutions africaines aux crises africaines existent déjà dans les traditions, et qu’il suffit de les écouter, les comprendre et les transmettre.
Toussaint Zongo ( Stagiaire)
