C’est le « je t’aime, moi non plus » entre le fumeur et la cigarette jusqu’à ce qu’elle commence à menacer de mort et même tue souvent. La séparation doit intervenir au plus tôt. Elle peut paraitre pénible, comme toute séparation, mais reste dans l’ordre des possibilités. Comment arrêter? Comment se sent-on après l’arrêt ? Reportage sur le difficile chemin pour fuir la maladie et la mort.
Abandonner le tabac ! L’une des expressions où le terme « abandonner » est positif. Pourtant l’arrêt du tabac est perçu parfois comme une épreuve insurmontable. Et c’est pour cela qu’il apparait important de dédramatiser la démarche de sevrage tabagique.
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Une cigarette journalière ! Deux, trois bâtons, le paquet entier ou plus… Ce n’est pas le nombre qui détermine la dépendance au tabac. Et ce n’est pas non plus la quantité de cigarettes fumées qui expose aux conséquences du tabac sur la santé. C’est ce que laissent comprendre les propos du coordonnateur de l’Unité d’aide au sevrage tabagique, Pr Georges Ouédraogo: « (…) sur le plan conséquences, il n’y a pas de seuil. Il y en a qui après avoir fumé une cigarette développent des maladies liées à la cigarette et il y en a même avec 30 cigarettes semblent ne pas avoir de maladie ». Il s’empresse de préciser que l’un ou l’autre, il y a toujours des conséquences, à court, moyen ou long termes.
“La fumée ne cuit pas les aliments” dit un proverbe fulfuldé. Mais celle de la cigarette brûle, fait des effets sur l’organisme. A propos de ces effets, le tabacologue, Pr Ouédraogo, avertit qu’il y a plusieurs maladies qui peuvent s’attaquer au fumeur. Dans les détails, il explique que pour ce qui concerne l’appareil respiratoire, tout commence au niveau de la bouche, avec possiblement le cancer des lèvres. Il a ensuite énuméré de nombreux autres cancers qui peuvent viser la gorge, le long de la tranchée, les cancers broncho-pulmonaires… Le pneumologue Georges, poursuivant avec les conséquences du tabagisme, a également parlé d’autres cancers qui vont toucher la vessie, la prostate et bien d’autres organes. Et le non moins effrayant des effets de la cigarette sur la santé du fumeur, c’est l’insuffisance respiratoire que le Professeur a appelée broncho-pneumopathie chronique obstructive « qui est malheureusement invalidante », a -t-il prévenu. Il ajoute que cela va durer dans le temps et la personne va à la longue avoir des difficultés pour faire rentrer l’oxygène et meurt souvent par manque d’oxygène, « parce que l’organisme n’est plus capable d’avoir la quantité nécessaire pour fonctionner ».
La nicotine va partout dans l’organisme
Le long chapelet de maladies liées au tabagisme égrené par le coordonnateur de l’Unité de sevrage tabagique n’a pas épargné le cœur. A côté de cela, toujours selon Pr Ouédraogo, il y a l’hypertension artérielle qui peut survenir, ou encore les accidents vasculaires cérébraux, l’infarctus du myocarde, des crises cardiaques, sans oublier l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs qui se traduit par la difficulté de circulation du sang dans les artères au niveau des membres inférieurs. L’enseignant à l’Unité de Formation et de Recherche en sciences de la Santé de l’Université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou a aussi signalé la survenue de dysfonctionnement érectile chez les hommes qui fument, et chez la femme la stérilité est l’une des conséquences du tabagisme, qui peut aussi provoquer des avortements à répétition ou des retards de croissance même quand l’enfant nait. Au regard de toutes les maladies citées, l’on réalise que c’est l’ensemble de l’organisme qui est affecté par le tabagisme. Pr Ouédraogo explique que c’est parce qu’en réalité, la nicotine rentre dans le sang et va partout dans l’organisme.
Ces différentes maladies ont fait des victimes et nous en avons rencontrées. Parmi celles-ci, Léon Tiegna, soudeur, 35ans. Il fume depuis 2012 (11 ans) et dit souvent ressentir des douleurs au niveau des côtes et surtout à la poitrine. Boukaré Nanéma, orpailleur, 50 ans, fumeur depuis 1989 (34 ans) dit avoir fait des examens qui ont révélé que la cigarette a « brûlé » son cœur, « que c’est devenu une plaie ». Il avoue qu’il toussait. Abdoulaye Yatassaye, chef de section à l’Agence de Développement Économique Urbain (ADEU) de la ville de Ouagadougou, 50 ans, a fumé pendant 28 ans. Une nuit, il a commencé à avoir du mal à respirer et éprouvait des douleurs au niveau de la poitrine. C’était un infarctus.
Si Abdoulaye suite à sa maladie a pu arrêter de fumer il y a trois ans, Boukaré, lui, est dans le processus du sevrage tabagique. Quant à Léon, il y songe, mais n’a pas encore fait le pas vers l’abandon de la cigarette. Et si ce dernier et les autres fumeurs veulent suivre l’exemple de Abdoulaye et Boukaré, le Pr Ouédraogo de l’Unité de sevrage tabagique leur suggère un « arrêt brutal et on prend en charge les effets liés à l’arrêt ».
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L’Unité de sevrage tabagique de Ouagadougou, pour 4000 F CFA comme frais de consultation, reçoit et a une démarche d’accompagnement vers l’abandon de la cigarette. Après l’accueil, « nous ouvrons un dossier dans lequel on renseigne l’identité de la personne, l’historique de son tabagisme, depuis quand la personne fume, combien de cigarettes ou combien de pipes par jour ou encore la quantité de tabac chiquée, combien de séances de chicha la personne consomme et on calcule le degré de motivation à l’arrêt. Nous calculons aussi la dépendance et nous estimons s’il n’y a pas de facteurs favorisants », a fait comprendre le premier responsable de cette structure, de lutte contre le tabagisme, affiliée au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo. Il confie qu’à côté de cela, des examens médicaux sont effectués pour mesurer l’état de santé du fumeur.
Abdoulaye, qui en était à « au moins deux paquets par jour », pendant 20 ans, a subi cela et a pu arrêter de fumer. Mais il avoue que « ce n’était pas facile au début, il m’arrivait de mâcher du chewing-gum pour que ça remplace un peu, et il fallait que j’aie tout le temps quelque chose dans la bouche ». Toutefois, il signale avoir tiré les ressources nécessaires en son for intérieur pour arriver à ne plus fumer. Du reste, il y avait un danger de mort qui planait sur sa tête comme l’épée de Damoclès. Boukaré a fait pareil, car lui aussi s’est senti en danger de mort. Et visiblement, c’est ce qui a été la source de motivation. Pourtant, tous les deux ont avoué n’avoir pas terminé le processus d’accompagnement de l’Unité de sevrage tabagique. La menace de mort a suffi !
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Après avoir arrêté de fumer, Abdoulaye se sent « très bien », et même que l’envie ne lui vient même pas de fumer. Aussi, lui qui était « maigrichon » relève, non sans satisfaction, une légère prise de poids, et un bon appétit. « J’ai constaté de l’amélioration au niveau de la santé, surtout au niveau de la respiration. J’ai même remarqué un grand changement dans tout mon corps au début, lorsque j’ai pris la décision de ne plus fumer », a affirmé Boukaré, se réjouissant d’être « devenu très fort » dans ses devoirs conjugaux.
Un accompagnement global
Le Pr Ouédraogo signale qu’à l’arrêt, certains candidats au sevrage tabagique peuvent avoir des insomnies. D’autres sont irritables ou ont beaucoup faim avec une tendance à beaucoup manger. Il avance aussi que lorsqu’on abandonne la cigarette, l’on rencontre des difficultés de concentration. Mais tout cela est géré par une prise de médicaments. Il faut signaler que l’accompagnement est à la fois psychologique, psychanalytique, médical, et est même social. Et le temps avant l’aboutissement de cet accompagnement à l’arrêt définitif varie d’un individu à l’autre. Mais le Pr avance que c’est souhaitable que ça ne dépasse pas un an. Certains y arrivent en deux semaines.
Malgré le soutien des agents de santé, le problème qui se pose à ceux qui ont pu abandonner la cigarette, c’est la rechute. Ils ne sont pas à l’abri, selon les mots du coordonnateur de l’Unité de sevrage tabagique. Face à ces cas, le tabacologue fait savoir qu’il y a lieu de chercher à comprendre pourquoi la rechute. Et à partir des causes, il y a une prise en charge « adaptée » qui agit sur ces causes.
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En 2017, l’Atlas estimait à 4800 le nombre de décès par an au Burkina Faso du fait de la cigarette. Mais ces chiffres pourraient prendre l’ascenseur et se retrouver à 18 600 décès par an, si rien n’est fait d’ici 2037 contre le tabagisme qui demeure l’une des causes de mortalité évitable. Les chiffres de l’Unité de sevrage montrent que parmi les personnes reçues pour le sevrage, le plus jeune a 15 ans et le plus âgé 80 ans. Moins de 1% des femmes acceptent dire qu’elles fument. Beaucoup fument mais en cachette. Mais pour la chicha, 24% des consommateurs sont de sexe féminin.
Boureima Dembélé