Au Burkina Faso, dans la région du Nando, la communauté gourounsi s’illustre par son savoir-faire en culture maraîchère, transmis de génération en génération. De Réo à Didyr, en passant par Ténado et Kordié, les terres fertiles accueillent chaque saison des jardins verdoyants. Laitues, tomates, oignons et gousses d’ail y poussent en abondance, apportant couleur et saveur aux marchés locaux. Malgré les difficultés liées à l’eau, le maraîchage reste une activité clé qui assure des revenus et nourrit des milliers de familles.
Sous un soleil ardent, Youba Badolo est affairé avec d’autres camarades à débarrasser ses planches de laitue, d’oignons et d’épinards des mauvaises herbes qui les étouffent. En ce mois d’août, période de vacances, le jeune Youba en profite pour affiner ses connaissances dans le domaine du maraîchage. Il le fait au siège d’Agropak à Koudougou, capitale de la région du Nando. Un apprentissage continu pour l’étudiant inscrit en agro-business à l’université de Dédougou.

Le choix de sa filière d’études ne s’est pas fait au hasard. Comme beaucoup de jeunes de la localité, Youba est né dans l’ambiance des jardins, dans la ferveur de la production maraîchère. « Je suis né dedans, mes parents font du maraîchage. Dès notre naissance, nous sommes dedans et nous avons poursuivi les études pour nous perfectionner et revenir révolutionner les pratiques de nos parents. On veut apporter notre touche de modernité », explique le jeune jardinier, la sueur perlant sur son visage.
Un héritage ancré
À Réo, dans la province du Sanguié, le maraîchage est bien plus qu’une activité : il se confond avec la culture du peuple gourounsi. Le mois d’août n’est pas propice au jardinage, mais le périmètre d’exploitation de Yiki Jean-Sylvestre Badiel, au secteur 5 de la ville, n’est pas pour autant abandonné. Sous un manguier, le père de famille et ses enfants devisent. Impatients certainement de voir la fin des grosses averses pour refaire vivre les planches d’ail, d’oignon, de haricot vert, de pomme de terre, d’oseille, de tomates, d’aubergines et de carottes.

« Je suis dans cette activité depuis 1995. C’est auprès de mon vieux que tout a commencé. Mon grand-père aussi le faisait. C’est vraiment une activité rentable dans la localité. Beaucoup de gens mangent dedans », explique le producteur. Il évalue à plus de 90 % la proportion de personnes engagées dans le maraîchage dans la région.
Comme un précieux héritage transmis de génération en génération, Yiki Jean-Sylvestre Badiel initie à son tour ses enfants au jardinage. « Mes enfants sont à l’école, mais ils travaillent avec moi. Les week-ends, par exemple, ils les passent dans les jardins. Ils savent tout faire », dit-il, tout heureux.
Parmi eux, Elysée Stéphane Badiel, qui entrera en classe de terminale à la rentrée 2025-2026. « Je peux dire que je suis né au jardin », résume le jeune garçon. Une manière de signifier que dès son plus jeune âge, il fréquentait déjà le jardin. Curer les puits, préparer les pépinières, épandre le compost ou les engrais, désherber les périmètres, récolter… autant d’étapes du processus que Elysée maîtrise déjà. Il ne se voit pas vivre exclusivement du travail de la terre plus tard, mais comme une promesse de ne pas rompre la chaîne, il s’engage à continuer l’activité, même en étant fonctionnaire. « Même si je deviens fonctionnaire, je peux toujours le faire. C’est une source de revenus. Je peux travailler avec des gens », envisage-t-il.
Plaidoyer pour la disponibilité de l’eau
Mathieu Bationo, ancien technicien supérieur d’agriculture, coule une paisible retraite à Ténado, où le maraîchage est aussi une tradition. Selon lui, la production de légumes est l’autre nom de la résilience chez le peuple gourounsi. Essentiellement agricoles, les populations se tournaient les pouces après une saison de culture vivrière qui dure à peine quelques mois. « C’est une alternative palliative pour que les céréales récoltées tiennent plus longtemps dans le grenier (…) Elles ne se basent pas seulement sur les cultures vivrières », analyse-t-il.

Et ce n’est pas Yiki Jean-Sylvestre Badiel qui dira le contraire. Avec fierté, il énumère les retombées du jardinage : les ressources financières pour construire sa nouvelle maison, assurer la scolarité de ses enfants, s’acheter des moyens de déplacement… tout provient de son jardin. Mais après 30 ans de pratique, il constate avec amertume que le sempiternel problème d’eau reste d’actualité.
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« Cette année, on a curé les puits jusqu’à 15 mètres. Certains ont abandonné leurs jardins par manque d’eau. Le barrage est ensablé. À partir de janvier, l’eau finit dans le barrage. On utilise alors l’eau des puits. Avec les motopompes à partir d’octobre-novembre-décembre, ce n’est plus possible. Il faut tirer avec des puisettes et ce n’est pas simple », soupire le père de Elysée, Stéphane Badiel. Il plaide donc pour que le gouvernement cure le barrage et subventionne la mise en place de forages.
Les productions de Yiki Jean-Sylvestre Badiel et de ses camarades alimentent le marché local, mais permettent aussi de diversifier leurs plats familiaux. Forts de leur expérience dans les techniques de production de légumes, ils accueillent régulièrement des producteurs venus d’autres régions ou pays en voyage d’étude.
Tiga Cheick Sawadogo