<strong>Burkina Faso : des initiatives pour sauver la langue kurunfé en voie de disparition</strong>
Ces vieux tiennent à sauver la langue kurunfé.

Burkina Faso : des initiatives pour sauver la langue kurunfé en voie de disparition

Au Nord du Burkina Faso, des vieux s’inquiètent de la survie de leur langue, le kurunfé (ou fulga). Les anciens constatent avec regret que les jeunes s’expriment de moins en moins dans la langue de leurs ancêtres.

« Nous pouvons parler sans que vous ne compreniez un mot », nous lance en langue mooré, avec un sourire malicieux, Oumarou Konfé, après avoir échangé quelques mots dans une langue que nous ne comprenons pas avec ses ainés. Il s’agit du kurunfé, communément appelé fulga, langue parlée par une partie des habitants des provinces du Bam, du Lorum, du Soum et du Séno, dans la partie septentrionale du Burkina Faso. Quelques locuteurs de la langue sont aussi dispersés dans la province du Yatenga.

Ici à Kongoussi, 2 heures environ de Ouagadougou, aucun évènement spécial ne réunit cette demi-douzaine de personnes, toutes âgées. Mais quand l’occasion se présente ou quand le temps le permet, ils se retrouvent chez Issa Sawadogo non seulement pour évoquer leur quotidien mais surtout échanger en langue kurunfé. Un défi qu’ils se sont donnés. Et pour cause, cette langue, parmi la soixantaine de dialectes parlées au Burkina Faso est en voie d’extinction.

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Oumarou Sawadogo l’avait compris depuis longtemps quand il constata que les jeunes s’exprimaient de moins en moins dans la langue. Alors, se rappelle-t-il, au début des années 2000, il entreprend une démarche auprès de la radio Voix des Lacs de Kongoussi pour animer une émission en langue kurunfé.

« J’ai eu l’idée de réaliser cette émission pour préserver le kurunfé et aussi la culture et les traditions des fulsés  [termes désignant les peuples parlant le fulga]. Si une langue disparait, c’est une part de la richesse culturelle du patrimoine de l’humanité qui meurt. Je ne voulais pas que la langue fulga meurt », explique Issa Sawadogo d’une voix posée. L’idée est validée. L’émission a du succès.

Oumarou Sawadogo n’a plus la force d’animer son émission à la radio.

Mais depuis quelques mois, le vieux Oumarou n’a plus la force d’il y a 20 ans. A la suite d’un accident de la circulation, il a dû arrêter pour quelque temps cette émission. La radio se trouve sur une colline. Il a désormais du mal à la gravir. « Mais, je vais essayer de reprendre bientôt même si les enfants ne veulent pas que j’y aille », dit-il tout déterminé.

 « Nos enfants nous répondent en mooré »

Il explique l’extinction progressive de la langue fulga par l’influence des langues Mooré, fulfuldé et tamasheq (prédominants dans la région), les mariages mixtes et l’alphabétisation.

 « Avant, les fulsés ne comprenaient aucune autre langue à part le fulga. Mais depuis que nous avons commencé à épouser des femmes mossis ou d’autres ethnies, nos enfants ne parlent plus notre langue, poursuit-il, tout gêné puis de préciser, la femme est la première éducatrice. Quand vous mariez une femme qui ne parle pas votre langue, l’enfant a tendance à parler la langue de sa mère ».

Ses propos reçoivent l’acquiescement de ses camarades d’âges comme Mahamadi Sawadogo, la cinquantaine : « Quand nous parlons en fulga, nos propres enfants nous répondent en mooré parce qu’ils parlent mooré avec leur maman. Ils ont raison. A l’école comme à l’école islamique, on n’enseigne pas en fulga. On parle aux enfants en mooré ou en français. Quand les enfants reviennent, ils ne peuvent plus parler dans leur langue ».

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Heureusement, Oumarou n’est pas le seul à se préoccuper de la préservation de la langue et de la culture fulga. Son homonyme, Oumarou Konfé, la quarantaine, parle et écrit couramment en kurunfé. Depuis quelques années, il s’est engagé à enseigner le kurunfé dans les villages de Pobé Mengao et Namissiquiya. « On parcourait les villages et on enseignait la langue à la population pour pouvoir la préserver », souligne-t-il. Lui également est confronté à un nouveau problème.

La situation sécuritaire marquée par des violences sur les populations civiles l’a contraint à abandonner et à rejoindre Kongoussi. Comme lui, plusieurs autres locuteurs de la langue fulga, parlée dans une zone qu’on appelle le Lorum (regroupant les villages Pobe Mengao, Namssiguiaya et localités environnantes) s’activent pour préserver la langue. Le déplacement des populations pourrait accroitre l’extinction de la langue fulga regrette Oumarou Sawadogo. « Quand ils vont arriver dans les zones moréphones, ils seront obligés de s’exprimer en mooré pour se faire comprendre. Si la situation perdure, ils risquent de ne plus parler la langue », déplore-t-il toujours.

Le moyen des réseaux sociaux

Toutefois, l’espoir est permis. Des jeunes fulsés continuent de s’exprimer et de valoriser le kurunfé. Beaucoup citent en exemple Zakaria Konfé dit Dj Bébéto. Originaire de Pobé Mengao, à plus de 100 kilomètres de Kongoussi, ce dernier parle couramment et correctement le fulga. Mieux, il a décidé de chanter dans sa langue. « Je chante en fulga parce que je me suis attaché à ma tradition. Je me suis dit qu’il fallait que je chante en fulga pour montrer mon attachement à ma racine et contribuer à sa promotion ».

Des études sont également menées sur la langue kurunfé. Harouna Badini, originaire de Namsiguiya, attend de soutenir un master sur la dynamique de la langue kurunfé. Il ne parle pourtant pas cette langue qui est  la sienne. Les recherches de cet étudiant en linguistique confirment la tendance de la disparition de la langue.

Il constate tout de même des initiatives à travers les réseaux sociaux pour préserver la langue. « Il y a des gens, par exemple, qui ont entrepris de donner des noms kurunfés à leurs enfants. Certains ont créé des groupes WhatsApp dans lesquels ils ne s’expriment qu’en kurunfé. Cela peut aider à restaurer la langue », espère Harouna Badini. Mais, le moyen le plus efficace pour lui, est d’enseigner la langue dans les écoles pour éviter qu’elle ne disparaisse.

Boukari Ouédraogo